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Présidentielle 2022 : Trois agendas à suivre pour concrétiser les engagements présidentiels

27 avril 2022 - Billet d'analyse - Par : Benoît LEGUET

Peu présent dans les débats, le changement climatique a émergé dans la campagne présidentielle pendant l’entre-deux tours. Emmanuel Macron a pris de nouveaux engagements qui vont devoir maintenant être concrétisés. Dans ce billet, Benoît Leguet d’I4CE met en avant les trois agendas qu’il faudra suivre dans les prochains mois pour vérifier la mise en œuvre de ces engagements… et les enrichir : le débat budgétaire à l’automne ; le lancement de la loi de programmation énergie climat ; et enfin la fin de la présidence française de l’Union européenne et les suites du Green Deal européen. Trois agendas qui s’imposeront à la nouvelle majorité après les législatives, quelle qu’elle soit.

 

Dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à réduire deux fois plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre du pays, et à faire du Premier ministre le responsable de la planification écologique afin d’impliquer tous les ministères dans la transition. Ces annonces sont venues s’ajouter à un programme pour le climat essentiellement orienté vers l’investissement public et des mécanismes de financement innovants, plutôt que vers la réglementation et la fiscalité.

 

Il y a trois « agendas », trois processus qui vont marquer le début du quinquennat et seront à scruter de près : le débat budgétaire après l’été ; le lancement de la loi de programmation énergie climat (LPEC) qui devra être adoptée d’ici un an ; la fin de la Présidence français de l’UE et la mise en œuvre du Green Deal européen. Trois agendas à suivre pour vérifier la mise en œuvre des engagements du Président. Trois agendas qui seront autant d’opportunités pour les enrichir. Trois agendas qui s’imposeront à la majorité qui sortira des urnes après les législatives, quelle qu’elle soit et quels que soient ses propres engagements pour le climat

 

C’est dès la nomination du nouveau gouvernement et la formation de la nouvelle assemblée que les grandes orientations du budget et de la LPEC devront être fixées, et que les positions françaises dans les négociations européennes devront être redéfinies. A quoi faudra-t-il veiller ? Quels sont les chantiers à régler, à initier, à ne pas oublier ?

 

 

Le débat budgétaire de l’automne

Emmanuel Macron s’est engagé à investir 10 milliards par an de plus dans la transition écologique, pour aider les Français à rénover leurs logements, leur offrir des solutions de mobilité bas carbone ou encore accompagner la transition des agriculteurs. Ces 10 milliards prendront la forme d’investissements publics, de subventions traditionnelles ou viendront soutenir des mécanismes de leasing subventionné de véhicules électriques et tiers-financement  des rénovations énergétiques des logements. Ils devraient permettre à l’État de prolonger les crédits budgétaires du plan de relance pour le climat, s’ajoutant aux montants prévus pour la décarbonation de l’industrie dans le cadre du plan France 2030. Ce montant sera-t-il suffisant ? On peut en douter, au vu des estimations que nous avions faites il y a quelque temps. Bien que l’on puisse certainement accroitre l’efficacité des aides, de la réglementation et de la fiscalité, le nombre de projets à entreprendre, et donc à financer, est considérable.

 

Le débat budgétaire de l’automne sera l’occasion de débattre de cet engagement, éventuellement de le rehausser, et de le traduire dans le budget 2023 de la France. Il devra aussi donner des perspectives sur toute la durée du quinquennat. Emmanuel Macron s’est en effet prononcé pour une « programmation des investissements, dans une logique de planification écologique, avec des objectifs territoire par territoire, secteur économique par secteur économique, filière par filière ». Barbara Pompili et Pascal Canfin ont précisé dans une tribune au Monde qu’une « loi de programmation climatique qui organisera les moyens financiers sur tout le quinquennat sécuriser les crédits budgétaires et donner ainsi de la visibilité ». Le processus d’élaboration de cette loi, son articulation avec la planification promise des investissements avec les filières économiques et les collectivités locales ou encore avec la LPEC et la nouvelle stratégie énergie climat, ainsi que sa forme juridique restent à préciser.

 

Il faudra veiller à ce qu’elle soit évaluée chaque année, afin de s’assurer que les moyens sont suffisants et utilisés efficacement. Et à ce qu’elle n’oublie pas les dépenses publiques nécessaires à l’adaptation, et qu’elle s’assure que les collectivités locales – de la plus grande à la plus petite – aient les moyens de prendre toute leur part dans la transition. Car si Emmanuel Macron entend donner un rôle plus important aux collectivités, notamment  sur l’énergie ou la rénovation des logements, et en nommant un ministre en charge de la planification écologique territoriale, il ne dit rien au sujet des moyens financiers et humains des collectivités pour mener à bien la transition. Mais ne boudons pas notre plaisir : I4CE demande depuis plus d’un an une telle programmation dans la durée des moyens dédiés au climat, rejoint depuis par de nombreux acteurs et en particulier des think tanks. Une telle programmation sera enfin l’occasion de débattre en toute transparence du financement de la transition, de clarifier qui paiera et combien.

 

Le débat budgétaire de l’automne sera également l’occasion de voir comment Emmanuel Macron compte concrétiser un engagement passé relativement inaperçu : l’affectation des recettes des taxes sur l’énergie et le climat à la transition. Ces recettes – de l’ordre de 45 milliards d’euros par an – ne seront certainement pas allouées à un fonds, à un compte spécial dédié à la transition. Mais le candidat entend assurer une équivalence entre ces taxes et les aides qu’il apportera aux Français. C’est le « budget vert » de l’État, qui donne à voir l’ensemble des dépenses de l’État favorables au climat et plus généralement à l’environnement, qui devrait permettre de suivre cet engagement : sa publication à l’occasion du projet de loi de finances 2023 ainsi que sa méthodologie – le diable se cachant parfois dans les détails – devront être regardés de près.

 

Qu’en sera-t-il par ailleurs des niches fiscales dites défavorables au climat, c’est-à-dire des exemptions totales ou partielles de taxes sur l’énergie et le climat dont bénéficient certaines entreprises ? Emmanuel Macron s’étant engagé à éliminer progressivement les « subventions aux énergies fossiles », le débat budgétaire permettra de savoir s’il entend fixer un calendrier et des orientations pour les réformes de ces niches, tout l’enjeu étant de continuer à aider les secteurs qui en ont besoin sans pour autant affaiblir le signal prix sur le long terme. Ce chantier, à peine entamé lors du précédent quinquennat, s’est révélé au moins aussi ardu que prévu… sinon plus. En 2020, le ministre de l’Economie s’était engagé à lancer des discussions sur la suppression progressive de ces niches avec les secteurs concernés. Mais le plan d’action climat de Bercy publié début 2021 ne mentionnait pas ce sujet, et la crise Covid est passée par là.

 

Enfin, le gouvernement devra se prononcer sur les réformes du bonus-malus automobile et de l’aide publique à la rénovation énergétique des logements. Le premier n’est pas aligné avec l’objectif de décarbonation du parc de véhicules neufs, la seconde ne permet pas aujourd’hui de faire émerger les rénovations « globales » que le candidat Macron entend pourtant prioriser. Le débat budgétaire de l’automne sera une opportunité pour y remédier.

 

 

Le lancement de la loi de programmation énergie climat

La LPEC sera la grande loi qui marquera le début du quinquennat en matière de lutte contre les changements climatiques. Son adoption mi-2023 doit permettre d’adapter les grands objectifs de la France à la rehausse de l’ambition climatique européenne, qui seront ensuite déclinées en mesures concrètes dans la nouvelle stratégie énergie-climat (SFEC). Cette SFEC comprendra à la fois la programmation pluriannuelle de l’énergie et du climat (PPE), la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le plan national d’adaptation aux changements climatiques (PNACC). Un gros morceau donc qui, espérons-le, ne sera pas une stratégie « de papier » mais bien un contrat qui engage l’ensemble des ministères – et en particulier ceux de l’Ecologie, de l’Agriculture et de l’Economie et des finances – et les acteurs économiques qui devront la mettre en œuvre. Pour cela, elle devra être coordonnée par le Premier ministre, désormais en charge de la planification écologique.

 

Le débat habituel sur l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables sera, à n’en pas douter, au cœur de l’attention collective. Tout comme la mobilité et la rénovation des logements. D’autres dossiers, en revanche, reçoivent moins d’attention malgré leur importance. Ils ne devront pas être oubliés.

 

C’est d’abord le cas de l’agriculture. Si le candidat Macron s’est engagé à investir pour aider les agriculteurs dans le transition et veut aussi renforcer leur « rémunération carbone » – un mécanisme qui permet aux agriculteurs de vendre des crédits carbone et pour lequel il ne faut pas avoir d’attentes démesurées – il ne s’est pas exprimé sur le gros morceau des aides agricoles : celles de la Politique agricole commune que la France gère dans le cadre de son Plan stratégique national (PSN). Alors même que celles-ci tendent aujourd’hui à préserver le statu quo plutôt que de favoriser les pratiques qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre, stockent du carbone, et préservent la biodiversité. Le PSN de la France est en voie de finalisation ; a minima il faudra l’évaluer à mi-parcours. Quant à l’élevage, une filière fortement émettrice de gaz à effet de serre, le « manger moins mais mieux de viande » d’Emmanuel Macron devra se traduire en objectifs et en mesures et – c’est au moins aussi important – en de nouvelles perspectives pour une filière en profonde difficulté.

 

Absente du programme d’Emmanuel Macron, la forêt ne devra pas être oubliée dans les futures LPEC et SFEC. La stratégie actuelle de la France en la matière est, disons-le crûment, bancale. Pour récolter toujours plus de bois dans nos forêts tout en continuant à stocker du carbone, elle mise sur une augmentation de la production et de la consommation de produits à longue durée de vie (les matériaux de construction plutôt que l’énergie ou le papier) qui est pertinente pour le climat mais probablement irréaliste dans son ambition. La révision de cette stratégie est l’occasion d’être à la fois plus réaliste, et d’initier une vraie politique de soutien à la production et à la consommation de ces produits bois.

 

Enfin, le  rapport du GIEC parut en février nous le rappelle avec force : l’adaptation aux impacts du changement climatique n’est plus une option, mais doit être immédiatement engagée « en même temps » que des actions d’atténuation. La France n’est pas prête. Sur ce sujet, Emmanuel Macron a notamment indiqué qu’il «  systématiquement en compte les enjeux d’adaptation dans la conception des politiques et des projets ». Un engagement bienvenu, ne serait- ce que pour éviter d’investir dans des infrastructures de transport ou des opérations de rénovation urbaine qui ne seront pas adaptés au climat de demain. Il va devoir être précisé et se traduire dans la pratique. La LPEC et le nouveau PNACC seront l’occasion de le faire et, plus généralement, de faire de l’adaptation une grande cause nationale, portée politiquement au plus haut niveau. L’adaptation a besoin d’objectifs et d’une répartition des rôles clairs, et d’une programmation budgétaire associée qui n’oublie pas la question des moyens humains des opérateurs de l’État et des territoires, actuel goulet d’étranglement des politiques d’adaptation.

 

 

La fin de la présidence française de l’UE et la mise en œuvre du green deal

Pendant sa présidence de l’Union Européenne, la France a eu à gérer les nombreux textes en cours de négociation pour mettre en œuvre le Green Deal et permettre à l’UE d’atteindre son nouvel objectif de réduction des émissions européennes de 55% d’ici 2030. La France a mis l’accent sur certains dossiers comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe et le carbon farming lors de sa présidence. A partir du 1er juillet, c’est en tant que simple État membre qu’elle devra se prononcer sur des dossiers épineux comme la répartition du nouvel objectif européen entre les pays, la réforme du marché carbone européen et son éventuelle extension aux transports et aux bâtiments, ou encore la réforme du pacte de stabilité et de croissance qui aura des implications sur le financement par les États membres de la lutte contre les changements climatiques.

 

Il y a un autre dossier, dont on discute beaucoup à Bruxelles et qui doit être finalisé dans les tous prochains mois : le paquet bancaire européen. Il est l’occasion pour l’UE de faire progresser la réglementation financière pour le climat, en rendant obligatoires pour les banques d’adopter des plans de transition, comme de plus en plus d’acteurs comme la Banque centrale européenne, Finance Watch ou I4CE appellent à le faire. Car la meilleure manière de protéger la stabilité financière et la finance des risques que le climat fait peser sur elle est de s’assurer qu’elle contribue activement à une transition ordonnée. C’est aussi une manière pour l’UE d’assumer son leadership en la matière, à l’heure où la compétition internationale fait rage pour fixer les nouvelles normes en matière de réglementation financière pour le climat.

 

La France est très attendue sur ce sujet, sur lequel elle a longtemps eu un rôle de pionnier grâce à ses initiatives sur les obligations vertes, les labels de qualité pour la finance climat et la transparence climat des acteurs financiers. Mais si les attentes étaient fortes au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron et s’il a – notamment avec son One Planet Summit – laissé espérer que la France pourrait initier des avancées sur la réglementation financière, les avances ont été peu nombreuses et le leadership français s’est étiolé : les réformes ambitieuses sont désormais plutôt portées par la Commission européenne, la France s’étant surtout mobilisée pour s’assurer de la présence du nucléaire dans la taxonomie officielle des investissements durables. En œuvrant pour que l’UE rende obligatoire les plans de transition pour les banques, en les rendant déjà obligatoires en France, en demandant à l’Autorité des marchés financiers d’agir plus fortement contre le greenwashing des entreprises qui se disent neutres en carbone sans l’être, en s’engageant dans la bataille internationale sur la réglementation financière au sein du Comité de Bâle, elle peut retrouver son rôle de pionnier.

 

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