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Budget 2023 : où en est-on du plan de financement du Président ?

20 décembre 2022 - Billet d'analyse - Par : Damien DEMAILLY / Charlotte VAILLES

(Ce billet a été mis à jour après l’adoption définitive du budget le 05 janvier.) 

 

Pendant la campagne présidentielle le Président-candidat a proposé un plan d’investissement public dans la transition écologique de 10 milliards d’euros supplémentaires par an, pendant toute la durée du quinquennat. Un plan essentiellement consacré à la lutte contre les changements climatiques et qui doit permettre d’accélérer les investissements dans la transition énergétique, l’adaptation, et ainsi garder le cap de la transition. Avec 3,8 milliards de plus par rapport à 2022, le budget 2023 fait moins de la moitié du chemin prévu, comme le révèle l’analyse conduite par Damien Demailly et Charlotte Vailles d’I4CE alors que le budget vient d’être adopté. Le retard est particulièrement important dans les investissements de l’État pour les transports.

 

Emmanuel Macron s’est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce que l’État investisse 10 milliards de plus par an dans la transition écologique, essentiellement pour la lutte contre les changements climatiques. Plus qu’un chiffre de campagne, ces 10 milliards sont issus d’un plan de financement de la transition détaillé secteur par secteur par son équipe de campagne.

 

Ce plan de financement est-il suffisant pour que la France atteigne ses objectifs climat, tant pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre que pour adapter le pays aux conséquences du changement climatique ? On peut, comme I4CE l’avait fait durant la campagne, mettre en avant les paris et les risques derrière ce plan. Mais il est difficile de répondre aujourd’hui à cette question : l’administration doit encore réussir à traduire les objectifs climat en une doctrine d’emploi et une trajectoire de moyen-terme des financements publics pour la transition. Elle y travaille, comme d’autres acteurs dont I4CE.

 

En attendant, alors que le budget 2023 vient d’être adopté, il est tentant de faire un premier bilan de la mise en œuvre du plan proposé par le Président pendant la campagne électorale. D’identifier ce qui a été mis en œuvre et ce qui a été laissé de côté pour l’instant et pourquoi. C’est ce que nous avons voulu faire.

 

Le temps des pompiers plutôt que celui des architectes

Commençons par ce qui n’était pas prévu pendant la campagne présidentielle et qui figure en bonne place dans le budget 2023 : le bouclier tarifaire. L’intensité de la crise énergétique conduit le gouvernement à dépenser 45 milliards en 2023 pour aider les Français à faire face à la hausse des prix de l’énergie et ce chiffre, présenté au début des discussions avec le Parlement, a augmenté depuis. Le bouclier fait l’objet de vives critiques, tant pour son coût sur les finances publiques que pour ses effets redistributifs. Ou encore parce qu’il bloque tout signal-prix envoyé aux consommateurs. Définir un bouclier tarifaire 2.0 qui réponde à ces critiques tout en continuant à contenir l’inflation et à préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes est le défi qu’il va falloir rapidement relever.

 

L’argent dépensé pour éteindre l’incendie, malheureusement, semble avoir manqué pour garder le cap, investir dans la transition énergétique et ainsi apporter une réponse structurelle à la crise actuelle. La France devrait investir de l’ordre de 30 milliards de plus par an pour atteindre ses objectifs, et il était prévu par le Président que l’État – en complément de l’effort d’investissement des collectivités locales et des banques publiques (cf. encadré méthodologique ci-dessous) – augmente ses propres investissements et ses co-financements publics de 10 milliards par an dès 2023. En l’état des discussions entre le gouvernement et le Parlement, l’augmentation sera de 3,8 milliards. Moins de la moitié de ce qui était prévu.

 

Précision utile : dans le plan d’Emmanuel Macron, les 10 milliards supplémentaires doivent s’ajouter aux crédits de France Relance et de France 2030. C’est le budget de l’État hors France Relance et France 2030, que nous appelons ici pour simplifier le budget de l’État, qui doit augmenter de 10 milliards à partir de 2023. Si l’on regarde le budget 2023 en incluant ces deux dispositifs, la hausse des dépenses de l’État pour le climat est plus faible : 2,9 milliards. Un chiffre moindre car les crédits de France Relance alloués à la décarbonation de l’économie ont commencé à s’amenuiser en 2023, plus rapidement que la montée en puissance de France 2030 et de ses crédits pour la décarbonation de l’industrie et l’innovation énergétique.

 

3,8 vs. 10 milliards : la difficile montée en puissance des financements publics pour la transition.

Comment expliquer cet important décalage entre la hausse des financements publics prévue pendant la campagne et celle effectivement actée dans le budget 2023 ? Le coût du bouclier tarifaire ou de nouvelles priorités budgétaires font partie des hypothèses. Mettons également en avant une autre hypothèse, qui a au moins le mérite de mettre l’accent sur une difficulté réelle du financement de la transition : pour financer des projets… il faut des projets, des projets qui avancent et des projets de qualité bien entendu.

 

Pour augmenter fortement, par exemple, les investissements dans le ferroviaire ou les transports collectifs urbains, il faut que des projets se montent et que les travaux avancent. De même pour la rénovation des bâtiments publics ou des logements privés : il faut que les collectivités ou les ménages soient en mesure de faire des rénovations – complètes, ambitieuses, efficaces – et que les artisans soient là pour les faire. Cette contrainte à la hausse des financements publics est réelle, mais n’est pas une excuse à la temporisation. Elle doit plutôt être une incitation à augmenter les efforts (et le financements) dédiées à l’ingénierie et à l’accompagnement des porteurs de projets, en particulier les collectivités locales.

 

Un retard particulièrement visible dans les transports

 

 

Quels sont les domaines d’action où l’écart entre ce qui était prévu et le budget 2023 sont les plus importants ? D’abord dans les transports. La hausse du budget 2023 atteint 1,3 milliard d’euros – contre 5,4 milliards prévus – dont 300 millions d’une enveloppe exceptionnelle pour soutenir les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans un contexte de hausse des prix de l’énergie et 800 millions de crédits pour les aides à l’acquisition de véhicules propres. En parallèle, les crédits de France Relance pour les infrastructures et la mobilité vertes baissent de 970 millions entre 2022 et 2023. C’est surtout dans le ferroviaire et les transports collectifs urbains que le plan du Président a pris du retard, d’où l’importance notamment des discussions en cours sur l’Acte II de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) et ses implications pour le budget de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF). Quant au système de leasing social de véhicules électriques promu pendant la campagne, il est clé pour aider les ménages modestes à accéder à ces véhicules à moindre coût pour eux et pour les finances publiques, mais il prend lui aussi du retard.

 

En ce qui concerne les crédits alloués à la rénovation thermique des bâtiments, la hausse prévue était de 2,6 milliards d’euros. Elle est, dans le budget 2023, de 1,6 milliard d’euros dont 910 millions pour MaPrimeRenov. En parallèle, les crédits pour la rénovation de France Relance ont baissé de 520 millions. La rénovation des bâtiments a fait l’objet d’intenses débats au Parlement. Des amendements en faveur d’une hausse de l’ordre de 6 milliards d’euros ont été votés à l’Assemblée. Trop, trop vite a répondu le gouvernement, pointant du doigt les difficultés de la filière pour réaliser plus de travaux et des travaux de qualité.

 

L’adaptation a bénéficié dans le budget 2023 de nouveaux crédits, pour les collectivités via le Fonds vert ou encore pour la sécurité civile. 280 millions d’euros au total, contre 400 millions prévus pendant la campagne. Pour rappel, I4CE avait évalué à 2,3 milliards d’euros par an le besoin de financements publics additionnels pour commencer à adapter la France aux impacts du changement climatique.

 

Enfin, il y a peu de choses nouvelles dans le budget 2023 pour l’agriculture et la forêt, contrairement à ce qui était prévu. Pointons tout de même l’augmentation des moyens de l’ONF dédiés à la défense contre les incendies, qui est une réponse aux besoins de financement pour l’adaptation de nos forêts mais n’épuise pas le sujet des « petites dépenses » à consentir par l’État pour utiliser plus efficacement l’argent qu’il consacre déjà à la forêt.

 

Et demain ?

Naviguer dans les arcanes du budget de l’État n’est pas toujours chose aisée, et nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur d’analyse ici ou là. Nous invitons ceux qui le souhaitent à se plonger dans les données que nous avons utilisées : tout est disponible ici.

 

Nous sommes néanmoins confiants sur les grandes masses budgétaires, et force est de constater que le budget 2023 s’éloigne fortement de ce qui était prévu par le Président pendant sa campagne. Il y a moins, beaucoup moins d’investissements et de co-financements publics que prévu, et peu de visibilité de moyen terme pour certains financements comme ceux du Fonds Vert des collectivités locales. Alors même que ce sont les investissements dans la transition qui nous permettront d’atténuer les effets des prochaines crises – énergétiques ou climatiques – qui ne manqueront pas d’advenir.

 

Pour anticiper et réduire la facture des prochaines crises, il faut garder le cap et continuer à investir. Les débats sur le financement de la transition n’auront pas à attendre un an et la proposition de budget 2024 pour continuer. L’Acte II de la LOM ou encore le déploiement du leasing social de véhicules seront autant d’occasions de préciser comment la France compte financer la transition.

 

Précisions sur le plan de financement élaboré pendant la campagne présidentielle

 

Le détail des financements climat prévus par Emmanuel Macron et son équipe de campagne, tel que transmis à I4CE, est disponible ici. Nous avons pu échanger avec un membre de l’ancienne équipe de campagne pour vérifier que nous interprétons correctement le chiffre de 10 milliards, et en particulier :

 

  • qu’il concerne l’État. Les 10 milliards prévus doivent s’ajouter aux investissements des collectivités locales ou encore des banques publiques. Ils ont pour objectif d’avoir un effet levier sur les autres acteurs publics, mais aussi privés (les ménages, les entreprises), tout cela pour combler le déficit d’investissement pour le climat ;
  • qu’il s’ajoute au budget 2022 de l’État, hors France Relance et France 2030.

 

Le chiffre de 10 milliards doit être comparé au Projet de loi de finances 2022. Nous avons néanmoins utilisé les données de la loi de finance initiale (LFI), plus facilement disponibles et exploitables. L’écart au PLF est mineur.

Par souci de simplicité, nous écrivons que ces 10 milliards supplémentaires par an sont prévus pour lutter contre les changements climatiques. Ils le sont, en fait, pour financer plus largement la transition écologique. Néanmoins 9,5 milliards sur les 10 concernent directement le climat.

 

Précisions sur les budgets 2022 et 2023

Pour les budgets 2022 et 2023, I4CE a utilisé les chiffres mis à disposition par le rapport de l’État sur l’impact environnemental de son budget. Ce rapport fournit des données précieuses sur les dépenses de l’État favorables à la réduction des émissions et à l’adaptation au changement climatique dans le projet de loi de finances 2023, et également dans les lois de finances des années précédentes. Comme nous l’avons déjà expliqué, le périmètre de ce rapport en matière d’adaptation doit être pris avec précaution.

 

Le projet de loi de finances 2023 ayant évolué depuis sa présentation au Parlement début octobre, nous avons pris en compte dans notre analyse les évolutions affectant les dépenses liées au climat, et notamment : l’augmentation du Fonds vert à destination des collectivités locales, l’enveloppe exceptionnelle pour les AOM, l’augmentation des moyens de l’ONF ou encore du budget de la sécurité civile pour faire face à l’augmentation des risques d’incendie.

 

Les crédits du Fonds vert ont été ventilés entre les différents secteurs conformément aux informations dont nous disposons.

 

Nous avons considéré les crédits de paiement et non les autorisations d’engagement, afin de prendre en compte les dépenses qui pourront effectivement être faites en 2023. Si le Fonds Vert est ainsi doté de 2 milliards d’euros en autorisation d’engagement, sur un nombre d’années encore indéterminé, ce sont 500 millions qui pourront être décaissés en 2023.

 

Nous avons laissé hors du champ de l’analyse le soutien public aux énergies renouvelables électriques et au biométhane. Ce soutien dépend en effet grandement de la conjoncture. Ainsi, pour les renouvelables électriques, il s’élevait à 4,7 milliards dans la loi de finances initiale 2022, et est nul (et même négatif pourrait-on dire) en 2023, au vu des prix élevés sur le marché de l’électricité.

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