11 points de vigilance pour la future programmation des investissements pour le climat

31 mai 2022 - Billet d'analyse - Par : Morgane NICOL

Emmanuel Macron s’est engagé pendant la campagne électorale à mettre en place une “programmation des investissements , secteur par secteur, territoire par territoire”. Dans ce billet, Morgane NICOL revient sur l’intérêt d’une telle programmation pluriannuelle et pointe de nombreux points de vigilance, aussi bien sur son contenu que sur sa gouvernance, pour qu’elle soit vraiment utile à la transition.

 

Emmanuel Macron s’est engagé pendant la campagne électorale à mettre en place une « programmation des investissements , secteur par secteur, territoire par territoire », rejoignant ainsi une majorité des candidats à l’élection présidentielle. Dans le même temps, Barbara Pompili et Pascal Canfin ont appelé à voter d’ici la fin de l’année une loi de programmation climatique qui « organisera les moyens financiers sur tout le quinquennat ».  C’est une bonne nouvelle : I4CE plaide depuis longtemps pour une programmation pluriannuelle des investissements publics pour le climat, rejoint depuis par d’autres acteurs et en particulier l’Iddri, l’OFCE et l’Institut Jacques Delors. Dans ce billet, Morgane NICOL revient sur l’intérêt d’une telle programmation et détaille de nombreux points de vigilance, aussi bien sur son contenu que sur sa gouvernance, pour qu’elle soit vraiment utile à la transition.

 

 

Une programmation nécessaire pour crédibiliser l’action publique pour le climat : sécuriser et apporter de la visibilité 

Evidemment, l’investissement public n’est pas l’alpha et l’omega de l’action publique pour le climat. La réglementation et la fiscalité sont des leviers d’action tout aussi importants. Mais ne nous y trompons pas, l’État et plus généralement les acteurs publics, vont devoir augmenter leurs investissements pour inciter et accompagner les ménages et les entreprises dans la transition. Ils ont considérablement augmenté leurs investissements ces dix dernières années, et vont devoir poursuivre et intensifier cet effort. Le terme d’investissement doit ici être compris dans son acception la plus large : les investissements publics prendront la forme de dépenses dans les infrastructures publiques comme les réseaux de transport et les bâtiments ; de subventions pour accompagner les acteurs privés et en particulier les plus modestes ; de dépenses de fonctionnement pour animer, former, renforcer les compétences d’ingénierie ou de recherche. Par exemple pour la rénovation énergétique des bâtiments et alors même que les travaux seront majoritairement portés par du financement privé, il faudra investir de l’argent public pour rénover les bâtiments publics, former les artisans, aider financièrement les ménages à rénover leurs logements, les accompagner dans la définition et la réalisation de ces travaux.

 

Pourquoi programmer ces investissements dans la durée ? Tout d’abord pour sécuriser les moyens de l’État, de ses opérateurs, et des collectivités sur le long-terme. Les investissements publics vont en effet devoir être soutenus pendant plusieurs décennies quels que soient les imprévus et les crises qui surviendront. Ceci étant, programmer dans la durée ne signifie pas verrouiller les moyens publics ! Le montant des investissements nécessaires dépendra de l’évolution des technologies bas carbone, de leur coût, des prix de l’énergie, mais aussi de l’efficacité observée des aides publiques… Programmer les financements publics dans la durée doit permettre de donner des orientations, des ordres de grandeur, qui ont vocation à être révisés régulièrement : nous y reviendrons.

 

Programmer les investissements dans la durée permettra aussi d’envoyer un signal fort à l’ensemble de l’économie. C’est une façon de renforcer la crédibilité de la transition, en lui assurant des moyens minimums quelles que soient les circonstances, et les crises, inévitables. Cela permet de renforcer l’effet de levier que l’on peut attendre des investissements publics. L’imprévisibilité actuelle est source d’incertitudes qui limitent la capacité des acteurs privés à construire leur modèle économique de demain et donc à déclencher de leur côté des investissements.  Ces acteurs ont besoin d’un cap clair et de visibilité sur les moyens publics pour s’engager résolument dans la transition climatique. En outre une transition plus crédible évite une mauvaise allocation de capital vers des « actifs échoués ».

 

 

Gouvernance : une programmation dès le début du quinquennat, concertée, interministérielle et évaluée

Pour qu’une telle programmation des investissements publics soit réellement opérante, il faut d’abord veiller à sa gouvernance, c’est-à-dire à son processus d’élaboration et de suivi.  Nous voulons souligner ici quatre points de vigilance à cet égard. Tout d’abord, il faut l’élaborer en tout début de quinquennat. Le début du nouveau mandat présidentiel et de l’Assemblée nationale est en effet l’occasion d’avoir une réflexion budgétaire pluriannuelle dès la fin d’année 2022 dans le cadre des discussions sur la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Par ailleurs, le quinquennat s’ouvrira également avec la loi de programmation énergie-climat (LPEC) qui devra être adoptée d’ici juillet 2023 et déterminer « les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique ».

 

Après la question du timing se pose la question du « véhicule juridique » pour cette programmation. Faut-il une loi de programmation ad’hoc ? Faut-il l’inclure dans la LPEC ? Difficile à dire à ce stade. Ce qu’on peut déjà dire est que le véhicule juridique retenu devra permettre d’avoir un réel débat parlementaire sur le financement de la transition et donc – in fine – sur le partage de l’effort d’investissement entre les entreprises, les ménages, l’État, les collectivités. Il est indispensable que les choix politiques que cela représente soient rendus explicites et compréhensibles pour tous, qu’ils soient discutés avec l’ensemble des acteurs concernés. Un vrai débat parlementaire – et plus généralement un vrai débat public – est nécessaire : la crise des « gilets jaunes » a illustré le risque d’un manque de transparence sur le sujet.

 

Troisièmement, la programmation des financements publics pour le climat doit être élaborée « par le bas ». Les chiffres inclus dans la programmation devront résulter d’une analyse des besoins filière par filière, secteur par secteur, acteur par acteur, plutôt que de grandes évaluations macroéconomiques. C’est avec les acteurs de terrain, collectivités, entreprises, société civile, que la programmation doit être élaborée, en étant à l’écoute de leurs besoins, des obstacles qu’ils rencontrent pour engager la transition. Les groupes de travail de la SFEC ou les différents comités de filière sont autant de lieux et de ressources pour ce faire.

 

Enfin, c’est le Premier Ministre lui-même qui devra être responsable de cette programmation. De son élaboration, car elle irriguera toutes les politiques publiques et nombre de ministères – sinon tous. Mais aussi de son évaluation régulière et de sa mise à jour. Un processus annuel d’évaluation de sa mise en œuvre et de son efficacité va devoir être inventé. Un bilan pourrait ainsi être réalisé chaque année, être complété d’un avis du Haut Conseil pour le Climat, être discuté en interministériel, et être présenté à l’Assemblée nationale et au Sénat en amont du débat d’orientation des finances publiques.

 

 

Contenu : une programmation suffisamment détaillée

Après la gouvernance, le contenu. Quelles sont les informations que devrait contenir une programmation pluriannuelle des investissements publics pour le climat ? La liste ci-dessous est non exhaustive, elle est le reflet de l’état actuel de nos réflexions et appelle à être complétée, ne serait-ce que sur l’avenir des investissements défavorables au climat ou sur le bouclage macroéconomique.

 

Commençons par son horizon de temps : idéalement, la programmation devrait être cohérente avec les différents jalons de la stratégie nationale bas-carbone et ses fameux « budgets carbone ». Soit 2022-2023, 2024-2028 et 2029-2033. A défaut, une programmation sur le quinquennat pourrait également être pertinente. Dans ce cas il sera utile de la compléter d’indications à plus long-terme, au moins jusqu’en 2030.

 

Deuxièmement, la programmation devra présenter les moyens publics engagés pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour l’adaptation au changement climatique. Les enjeux d’adaptation ont été trop souvent négligés jusqu’à présent, que ce soit en termes de moyens alloués ou de pilotage.

 

Ensuite, c’est l’ensemble des investissements publics qui doivent être considérés. C’est-à-dire non seulement les dépenses publiques dans les infrastructures, les équipements, les bâtiments, mais aussi : les subventions et les autres instruments financiers proposés par des acteurs publics, comme les prêts, les investissements en fonds propres, les garanties ; les moyens humains publics engagés pour animer la politique climat, sensibiliser et accompagner les acteurs, leur apporter de l’ingénierie, etc…

 

Par ailleurs, la programmation devra être détaillée filière par filière ou secteur par secteur, avec notamment la production d’énergie, le bâtiment, l’aménagement, la mobilité, l’agriculture et l’alimentation, la forêt, l’industrie ou encore l’eau. Pour chaque secteur ou filière, la programmation devra détailler : les montants d’investissement publics et privés attendus, les investissements publics prévus, ainsi que les autres actions publiques mises en œuvre en matière fiscale et réglementaire.

 

La programmation devra aussi détailler ce qui, à l’intérieur des moyens publics programmés, est du ressort de l’État, des différents « blocs » de collectivités et des différents opérateurs publics concernés. Et expliciter pour chacun des acteurs publics les ressources mises en face, pour s’assurer qu’ils auront les moyens de mettre en œuvre les mesures prévues.

 

Il nous semble également indispensable de donner à voir comment les acteurs publics comptent accompagner les ménages modestes et, plus généralement, éviter de tomber dans le piège du « ménage moyen ». C’est une évidence bonne à rappeler : tous les ménages n’ont pas le même revenu et la même capacité d’investissement, tous n’ont pas la même possibilité de recourir aux transports en commun ou au vélo… Comment les investissements publics répondent à ces différentes réalités ? La programmation devrait répondre à cette question, en explicitant pour différents types de ménages les investissements publics auxquels ils auront accès, et leur reste à charge pour la transition, en se basant sur des mesures d’impacts.

 

Enfin, en plus des 6 points ci-dessus concernant les dépenses, il ne faudra pas oublier d’anticiper l’évolution des recettes fiscales. La dynamique des recettes fiscales sera affectée par la transition : on peut par exemple citer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le produit devrait baisser à mesure que la consommation énergétique diminue. Dans l’autre sens, y aura-t-il des recettes fiscales en hausse ? Par exemple, qu’adviendra-t-il des niches fiscales défavorables au climat ? L’enjeu d’une telle analyse sera de pouvoir projeter à moyen et long-terme les impacts budgétaires de la transition pour les administrations publiques, pour ensuite analyser les possibilités en termes de financement de ces budgets.

 

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    Dans cette dernière newsletter avant la trêve estivale, à l’heure où la nouvelle Assemblée se réunit pour la première fois, [i4ce] vous propose de faire le point sur les prochains sujets que les parlementaires auront à traiter et de relire nos dernières études associées. 

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