Retour sur l’expérimentation du « budget vert » en France
Le 25 septembre dernier, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin a promis un « budget vert » pour 2021. Cette démarche consiste à évaluer les dépenses et les recettes de l’État français en fonction de ses objectifs environnementaux pour l’aider à mettre en œuvre une stratégie de lutte contre le changement climatique cohérente.
En matière d’action environnementale de l’État, l’attention du public se focalise en effet souvent sur certaines mesures emblématiques, comme récemment la contribution climat-énergie ou le bonus-malus écologique. Pourtant, l’action des États ne se limite pas à ces mesures – souvent politiquement difficiles – mais prend une multitude de formes et mobilise des ressources importantes.
Les choix budgétaires sont très représentatifs de cette mobilisation. Rappelons qu’en France, les dépenses totales de l’État approchent les 55 % du PIB, soit environ 1 300 milliards d’euros.
Mettre en cohérence le budget de l’État avec les objectifs environnementaux qu’il s’est fixé est donc une nécessité ; le recensement des impôts et des dépenses impactant l’environnement en est le premier pas logique. C’est aussi un exercice bienvenu de transparence qui doit permettre d’apporter une première réponse au mécontentement des « gilets jaunes » en France, partagé dans de nombreux pays, de l’Équateur à l’Égypte.
Un tel recensement environnemental permet d’aborder l’enjeu environnemental de façon transversale, pour une action plus cohérente et mieux comprise des contribuables. C’est un élément important de la panoplie d’outils dont dispose l’État pour améliorer l’efficacité de l’exécution budgétaire.
Un outil en construction
Ce concept de recensement environnemental n’est pas nouveau : le Programme des Nations unies pour le développement a appuyé depuis 2011 une quinzaine de pays dans la mise en place de revues des dépenses publiques et institutions liées au climat.
Ces travaux ont révélé l’extrême diversité des situations et des approches, sans fournir d’outil clair aux pays pour élaborer leur stratégie nationale. Il faut aujourd’hui les faire évoluer afin qu’ils reflètent au mieux les changements de mentalité initiés par l’Accord de Paris de 2015 en matière d’action publique environnementale et de coopération internationale. Trois développements méthodologiques nous semblent particulièrement importants.
Un périmètre plus large est nécessaire, tout d’abord, qui inclut toutes les recettes et dépenses de l’État ; il est désormais clair que l’effort climatique et environnemental concerne tous les secteurs et dimensions de l’action de l’État. Une vision holistique du budget permet de dépasser le débat sur l’intérêt de lier étroitement les recettes environnementales à des dépenses environnementales particulières – par exemple, les recettes de la taxe carbone au soutien du renouvelable.
L’identification des mesures pertinentes pour l’environnement doit par ailleurs dépasser la logique dite des « marqueurs de Rio », qui privilégie l’intention d’une mesure sur son effet. Il faut se concentrer sur les impacts concrets, évalués du mieux possible au niveau actuel de connaissances.
L’évaluation environnementale d’un budget national, enfin, doit informer tous les citoyens sur l’allocation des ressources au sein du pays. Elle doit s’appuyer sur des objectifs et des choix nationaux, plutôt que sur des cadres de référence internationaux. L’Accord de Paris remet en effet en avant l’intérêt et la souveraineté nationaux dans la collaboration environnementale internationale.
Avec un budget vert, il s’agit de mettre en place une stratégie nationale, et non seulement d’attirer et canaliser efficacement l’aide internationale.
Passer au crible le budget des États
Pour faire progresser l’expérience internationale de la « budgétisation verte », l’OCDE a lancé en 2017 l’initiative « Paris Collaborative on Green Budgeting », qui vise à appuyer le développement de « budgets verts » dans plusieurs pays pilotes.
Le chantier est d’envergure : il s’agit, pour chaque pays, de passer l’ensemble du budget au crible de ses propres objectifs environnementaux. Une seule atténuation climatique implique pour chaque État de mettre en place une myriade d’impôts et de dépenses qui affectent les émissions nationales, sans que ce soit leur but premier : les taxes sur les carburants, les taxes à l’immatriculation des véhicules, ou les dépenses de rénovation de l’État dans ses propres bâtiments.
Même les taux réduits de TVA peuvent contribuer à réduire les émissions de GES quand ils s’appliquent à la rénovation du bâtiment, ou à les augmenter quand ils portent sur les billets d’avion… Nombre de niches fiscales répondent aussi à cette définition : les exonérations de taxe carburant pour l’aviation ou l’agriculture relèvent d’une logique de soutien public à des secteurs exposés économiquement, en dehors de considérations climatiques.
Mais parmi leurs effets secondaires pervers, elles encouragent à court terme des comportements polluants et maintiennent ces secteurs dans leur dépendance aux énergies fossiles au lieu de les accompagner vers une transition moins brutale. Dans les pays en développement, les subventions aux carburants ont le même effet pour l’ensemble de la population, sans être pour autant progressives car elles bénéficient avant tout aux ménages les mieux dotés en équipements et donc les plus riches.