Pour que la relance de l’économie contribue à la résilience climatique
Les objectifs de transition énergétique sont bien présents – et il faut s’en réjouir – dans les discussions autour des plans de relance de l’économie. Atténuer le changement climatique est en effet une priorité. Mais les pouvoirs publics doivent aussi profiter de ce moment de réorientation des activités et d’investissement pour construire une économie résiliente aux impacts changements climatiques que nous ne pourrons plus éviter.
Pour Vivian Dépoues, il faudra sûrement investir un peu plus et dédier des ressources nouvelles à l’adaptation au changement climatique. Il faudra surtout investir mieux en intégrant cet impératif dans la conception et le pilotage de l’investissement public. Il faudra enfin sanctuariser certaines dépenses qui contribuent de manière essentielle – et parfois invisible – à notre capacité d’adaptation.
Investir d’avantage dans l’adaptation
Que ce soit pour adapter l’aménagement du littoral, les infrastructures de mobilité, les équipements touristiques ou encore les pratiques agricoles, des ressources additionnelles vont devoir être mobilisées. Si l’évaluation et la qualification de ces besoins d’investissement supplémentaires sont encore largement incomplètes, certains de ces besoins sont suffisamment bien identifiés pour y affecter dès maintenant des financements dédiés.
C’est notamment le cas de l’adaptation des espaces publics urbains aux vagues de chaleur : des stratégies de végétalisation, de désimperméabilisation des sols et de rafraîchissement des villes sont largement expérimentées. Ces aménagements combinent des solutions qui ont chacune un coût. À titre d’exemple, la création d’ombrières sur les aires de stationnement des rames de tramway à Bordeaux a coûté 450000 euros, et la désimperméabilisation des berges du Rhône à Laveyron 240000 euros. Ils auraient toute leur place dans les futurs dispositifs de soutien à l’investissement des collectivités territoriales.
Faire de l’adaptation un critère de pilotage
Au-delà de ces investissements spécifiques pour l’adaptation, de nombreuses dépenses réalisées pour d’autres objectifs contribuent à améliorer notre préparation au changement climatique. Selon la première évaluation environnementale du budget de l’État rendue publique par le gouvernement en 2019, ce sont 7 milliards d’euros de dépenses annuelles qui participent directement ou indirectement à l’adaptation chaque année en France. Ainsi, une partie des politiques environnementales, agricoles, de cohésion des territoires ou encore de la recherche présentent des co-bénéfices en matière d’adaptation.
Le problème de ces politiques est qu’elles ne font généralement pas de l’adaptation un objectif explicite. Il est dès lors impossible de garantir que les responsabilités en matière d’adaptation sont clairement attribuées, qu’il n’y a pas de sujets orphelins ou que les ressources sont utilisées au mieux. Pour renforcer les co-bénéfices pour l’adaptation, cette dernière doit devenir un critère de pilotage et d’évaluation de ces politiques, comme cela a été fait pour la politique de l’eau. C’est vrai pour les politiques nationales, cela l’est également à l’échelle territoriale qui concentre une grande partie des enjeux et des leviers d’action sur l’urbanisme, le développement économique ou encore l’alimentation.
Lui attribuer des budgets dédiés
Une manière de s’assurer que l’adaptation est mieux prise en compte dans ces politiques et dans leurs investissements est de leurs adjoindre des budgets dédiés. Au Royaume-Uni, la stratégie d’adaptation du gestionnaire du réseau ferroviaire prévoyait ainsi une enveloppe de £150M pour la période 2017-19, afin d’intégrer cette composante à ses plans de modernisation ligne par ligne. Au regard des sommes totales investies – en France se sont 6,2 Mds€ qui devaient être consacrés en 2020 à la modernisation du réseau ferroviaire – une telle d’enveloppe est modeste mais s’avère déterminante pour maximiser les co-bénéfices en matière d’adaptation.
Intégrer les questions de confort
Renforcer les co-bénéfices est important, prévenir les risques de “verrouillage” dans des trajectoires de vulnérabilité l’est tout autant. Cette préoccupation est malheureusement trop souvent absente de politiques publiques qui nous engagent pour plusieurs décennies. La question du confort d’été par exemple n’est pas encore intégrée systématiquement dans les grands programmes de construction de logements sociaux ou de rénovation thermique des bâtiments, au risque de provoquer de sérieuses crises sanitaires et sociales lors des futures canicules. Des solutions comme la construction bioclimatique, les choix d’isolation qui laissent respirer les bâtiments, la ventilation passive sont d’ores et déjà disponibles. Elles représentent aujourd’hui un surcoût significatif, estimé à 15 ou 20 %, mais garantiront le confort et l’habitabilité de ces espaces pour l’avenir.
Sanctuariser les services essentiels
Enfin, il est nécessaire de rappeler que l’adaptation n’est pas qu’une question d’investissement. La situation épidémique a montré que des services peu visibles en période normale sont en première ligne lors de crises. Les services d’alerte météo, la sécurité civile pour faire face aux évènements extrêmes ou encore l’assistance aux personnes vulnérables sont et seront d’une importance capitale dans un contexte de changement climatique. Alors que les ressources publiques sont sous tension, en particulier au niveau des collectivités qui vont voir, suite à la crise, leurs recettes baisser d’environ 7,5 milliards d’euros en 2020, les crédits alloués à ces services doivent être sanctuarisés.
C’est également le cas du budget des agences de l’eau ou du fonds Barnier (le Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs créé en 1995) que le gouvernement n’hésite pas à ponctionner au lieu de les utiliser pour plus d’adaptation. Pour paraphraser le virologue Peter Piot, on ne peut pas se permettre d’attendre que le feu se déclare pour créer une caserne de pompiers. Justement, la saison des incendies approche, le réchauffement les favorise et les pompiers s’inquiètent de la baisse des moyens à leur disposition.