2020 : le climat devra être l’affaire de tous
Trop longtemps le climat est resté cantonné aux silos « écolos » de nos institutions publiques : c’était l’affaire des ministères de l’Environnement. La situation semble s’être améliorée depuis une dizaine d’années, mais nous sommes encore loin du compte comme le pointe le premier rapport du Haut conseil pour le climat « Agir en cohérence avec les ambitions ». Pour Benoit Leguet, directeur d’I4CE et membre du HCC, 2020 offrira de multiples occasions de tester l’engagement de tous, en France comme à l’international.
En 2019, le ministre français des Comptes publics a communiqué la première évaluation environnementale du budget de la France et une Coalition des Ministres des finances pour le climat a été lancée qui regroupe désormais plus de 50 pays. D’autres évènements ont eu lieu qui démontrent l’implication croissante d’acteurs publics longtemps considérés – ou qui se sont considérés – comme périphériques au défi climatique : les banques centrales et les superviseurs de la finance, les banques publiques de développement ou encore les ministères de l’agriculture. L’implication de ces acteurs, et en particulier de ceux qui tiennent les cordons de la bourse et de l’économie, est une bonne nouvelle car ils disposent de leviers indispensables à la transition. Sans eux, il est illusoire de mettre en œuvre des politiques publiques cohérentes.
Mais être impliqué ne suffit pas : ils doivent s’engager, agir, délivrer. Et 2020 va offrir de nombreuses occasions de tester cet engagement, en France, en Europe comme au niveau international. Le climat est-il vraiment devenu l’affaire de tous ? En fin d’année nous y verrons un peu plus clair.
Le verdissement des budgets publics
2020 sera tout d’abord une année test pour la Coalition des ministres des Finances et son tout nouveau Plan d’action de Santiago. Au-delà du partage d’expérience entre pays, cette coalition devra démontrer sa capacité à impulser de nouveaux engagements, par exemple sur la tarification du carbone ou sur l’évaluation de la cohérence des budgets nationaux avec l’Accord de Paris. Sur ces deux sujets aussi l’Union européenne est ses Ministres des finances seront attendus : ils sont au menu du Green Deal de la nouvelle Commission. Et la France aura un rôle important à jouer sur ce thème du Green Budgeting, elle qui accueillera à Paris en début d’année la Coalition internationale pour en discuter et qui est pionnière en la matière.
L’évaluation de son propre projet de budget pour 2021, qui devrait être rendue publique en octobre, sera un autre test pour la France. Et les Ministères concernés et les parlementaires devront montrer qu’ils tirent les conséquences politiques de cet exercice. Comment comptent-ils continuer à réformer les niches fiscales défavorables au climat ? Où trouver les financements publics nécessaires pour combler le déficit d’investissement pour le climat et, en pleine année mondiale de l’adaptation, pour rendre nos territoires plus résilients ? Comment utiliser au mieux l’argent public pour entrainer la transformation de toute l’économie ? Plus généralement, quelle est la stratégie climat de la France en matière de finances publiques ? La même question se posera au niveau local cette année : plusieurs collectivités se sont lancées en 2019 dans l’évaluation climat de leurs budgets, et il sera intéressant de voir combien d’autres se joindront à ce mouvement en 2020, dans la foulée des élections municipales… et quelles décisions concrètes elles en tireront.
Un moment de vérité pour les superviseurs et les institutions financières
2020 sera aussi un moment de vérité pour les institutions publiques qui régulent la finance. Après les premières années passées à explorer les risques que les changements climatiques font peser sur le système financier, elles sont censées franchir un cap. La Banque de France évaluera la robustesse du système aux risques climatiques en demandant aux banques et assurances de réaliser leur premier « stress test climat », et le réseau international des superviseurs, le NGFS, aidera ses membres à faire de même en rendant publics plusieurs scénarios de référence indispensables à de tels exercices. Des avancées de la part du FMI sont également attendues en matière de macro stress tests. Et sur le front du reporting climat des entreprises et des investisseurs, c’est non seulement l’Union européenne qui est attendue en 2020, mais aussi la France : elle mettra à jour l’article 173 de la loi de transition énergétique de 2015. Cette mise à jour a priori technique ne doit pas être sous-estimée car, si cet article a fait de la France, aux yeux du monde, le pays pionnier du reporting climatique, son application concrète laisse malheureusement à désirer.
D’autres acteurs financiers vont passer un test en 2020 : les banques publiques de développement. Qu’elles soient nationales, bilatérales ou multilatérales, elles ont un rôle majeur à jouer pour financer la transition et l’adaptation au changement climatique, et doivent utiliser au mieux leurs ressources en cherchant à avoir l’impact le plus transformationnel possible. Elles doivent dans le même temps arrêter de financer des projets qui sont en contradiction avec cette transition. Nombre d’entre elles ont pris l’engagement de « s’aligner » avec l’Accord de Paris, et sont confrontées à des défis aussi bien méthodologiques que politiques. Des discussions sont actuellement en cours pour organiser un Sommet des banques de développement avant la COP26 de Glasgow, Sommet qui pourrait être l’occasion de renforcer cette dynamique et de mettre sur la table une question cruciale : celle de leur mandat. À l’image du débat actuel sur la banque européenne d’investissement, la protection du climat devrait faire explicitement partie du mandat fixé par les gouvernements. Ce ne sont donc pas seulement les banques publiques qui passeront un test en 2020, mais aussi – surtout – leurs mandants.
Sans mobilisation des secteurs agricoles et forestiers, point de neutralité
Pour savoir si le climat est vraiment devenu l’affaire de tous, il faudra enfin regarder en 2020 ce qui se passera du côté des secteurs agricoles et forestiers. À la fois émetteurs de gaz à effet de serre, puits de carbone et secteurs parmi les plus impactés par le changement climatique, il est désormais clair qu’ils sont au cœur et non en périphérie du défi climatique. Sans leur mobilisation il n’y aura pas de neutralité carbone, ni en France, ni ailleurs. La place du climat dans la réforme de la PAC, qui doit en théorie aboutir en 2020, et sa place dans le plan stratégique national que le ministère de l’Agriculture français doit soumettre à l’Union européenne d’ici la fin de l’année, seront un test de la crédibilité des pouvoirs publics en la matière. Un second test, plus franco-français, sera le degré de mobilisation des filières agricoles et forestières, et plus généralement des acteurs territoriaux, autour du label bas carbone. Cet outil récemment créé par les pouvoirs publics offre de nouvelles opportunités de financement aux acteurs de terrain qui réalisent des projets pour le climat. 2020 est l’année où les projets agricoles et forestiers bas carbone devront se concrétiser en masse.
Assurer la cohérence des politiques publiques, casser les silos institutionnels, faire du « mainstreaming »… Derrière ces concepts et ces expressions se cachent en fait une même idée, une même volonté : faire du climat un enjeu pour les non convaincus, pour ceux qui ne se disent pas au premier abord « c’est un sujet pour moi ». I4CE les accompagne depuis des années pour faciliter leur prise de conscience et leur passage à l’acte. 2020 sera donc tout autant un test pour ces acteurs que pour notre Institut.