Rémunérer les agriculteurs pour leur carbone stocké, la bonne idée de l’Europe ?
Le 15 décembre 2021, dans le cadre de sa communication sur les puits de carbone, la Commission européenne a rendu publiques ses propositions pour renforcer le stockage de carbone dans les sols agricoles. Son objectif : rémunérer les agriculteurs pour les inciter à stocker plus de carbone. Pour cela, il est d’abord nécessaire de construire un cadre de certification carbone européen afin de garantir l’impact des projets financés. Claudine FOUCHEROT d’I4CE juge cet outil prometteur mais pose trois conditions, en s’appuyant sur l’expérience française en la matière.
Miser sur davantage d’obligation de résultat est une bonne nouvelle…
Avec ce futur cadre de certification, une nouvelle direction est prise par la commission : elle mise davantage sur l’obligation de résultat. C’est une bonne nouvelle !
En effet, Jusque-là, très peu d’incitations existaient pour réduire l’impact carbone du secteur des terres et les outils proposés (paiements verts du 1er pilier de la PAC, MAEC, etc.) reposant tous sur de l’obligations de moyens, n’ont pas démontré leur efficacité comme l’a rappelé la cour des comptes européenne dans son rapport sur la PAC et le climat. Les paiements sur résultat sont une solution pour assurer l’impact environnemental des financements ou pour le dire autrement, pour s’assurer que chaque euro dépensé au nom du climat permette réellement de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.
L’argument régulièrement opposé à ce type d’instruments concerne leurs coûts de transaction supposés plus importants que pour les instruments avec obligation de moyen. Qui dit obligation de résultat dit évaluation de ce résultat ce qui implique en effet de collecter un certain nombre de données et qui a évidemment un coût . Ce point doit cependant être nuancé car l’obligation de moyens impose déjà de gros couts de transaction. En effet, quand on cherche à optimiser les pratiques à mettre en place dans un contexte pédo-climatique donné, les coûts liés à la multiplication des cahiers de charges dans le cas de l’obligation de moyen (exemple des MAEC) explosent. Au final, les coûts de développement de ces cahiers des charges « à la carte » compensent les couts de MRV (Monitoring, Reporting, Verification) de l’impact environnemental liés à l’obligation de résultat.
A condition de revoir le périmètre du cadre de certification
Sans cela, le dispositif sera inutilisable pour le secteur agricole.
Dans sa communication, la commission traite de façon disjointe les objectifs de séquestration carbone, et les objectifs de réduction d’émissions de N20 et CH4 dans le secteur agricole. Or les cycles de l’azote et du carbone sont liés et une même pratique comme la couverture permanente des sols ou la conservation des sols peuvent avoir des impacts à la fois sur le stockage carbone dans les sols et sur les émissions de GES, et pas toujours dans le même sens. Si l’on ne veut pas que ce dispositif soit inutilisable par les agriculteurs ou qu’il créé des effets pervers dans ce secteur, il est indispensable d’élargir le périmètre à la réduction des émissions de méthane et de protoxyde d’azote.
Cela n’empêche pas de compter séparément ce qui relève des puits de carbone de ce qui relève des réductions de GES afin de suivre les évolutions de ces deux catégories, indispensable pour pouvoir gérer le risque de non-permanence spécifique à la séquestration carbone. C’est le choix qui a été fait dans le cadre du Label Bas Carbone.
…De s’assurer que le dispositif incite à de réelles transformations des systèmes de production
La seconde condition concerne la bonne prise en compte de l’ensemble des enjeux de durabilité.
La communication de la Commission insiste à juste titre sur l’importance de prendre en compte l’ensemble de ces enjeux. Mais ce n’est pas si simple de développer des méthodes qui ne soient pas carbo-centrées quand la métrique est la tCO2eq. Plusieurs solutions existent cependant. Imposer des garde-fous (chargement maximal, nombre d’essences minimal, etc.) pour éviter de pousser vers des systèmes intensifs avec notamment des dommages sur la biodiversité et la qualité de l’eau ; adosser au calcul de l’impact carbone des indicateurs de suivi des autres enjeux. ; privilégier une comptabilisation des émissions à l’hectare plutôt qu’à la quantité produite pour favoriser l’extensification. Ces différentes approches sont testées dans le Label Bas Carbone et leur efficacité respective devra être discutée.
Plus fondamentalement, derrière cette condition se cache la question des transformations des filières alimentaires que nous voulons encourager. Il y a plein de façons d’atteindre la neutralité carbone, avec des scénarios misant sur le tout technologique ou des scénarios impliquant des changements majeurs de comportement alimentaire. Mais tous n’ont pas les mêmes impacts sur les autres dimensions de la durabilité. Comme évoqué ci-dessus, les solutions ne manquent pas pour intégrer ces enjeux dans un cadre de certification carbone. Mais la façon dont ils sont intégrés peut drastiquement changer le type de pratiques et de transformations qui sont induites sur le terrain. C’est au régulateur de fixer le cap.
…Et de ne pas se tromper de cible sur les sources de financements
La troisième condition est de ne pas se tromper de cible pour les financements. On entend souvent que la certification carbone est un outil dédié à la compensation carbone. En réalité ce serait très réducteur. La certification carbone permet d’apporter des garanties sur l’impact d’un projet et peut être utile pour tout financement, privé ou public, cherchant à avoir de l’impact et à suivre cet impact.
A ceux qui pensent que la certification carbone n’a d’intérêt que pour les marchés carbone volontaires, la commission apporte une première réponse en laissant une place aux financements publics et aux agro-industries via d’autres formes de financements que l’achat de crédits carbone : subventions PAC, aides à l’investissement, premium sur les productions, etc.. C’est déjà une très grande avancée mais qui pourrait aller encore plus loin.
Le marché volontaire du carbone est pour le moment marginal, et encore plus réduit pour des crédits à plusieurs dizaines d’euros comme c’est le cas avec les premiers projets certifiés par le LBC. Il serait risqué de miser sur son développement pour financer la transition bas-carbone des secteurs agricole et forestier. Ne nous y trompons pas, c’est le marché volontaire qui peut être un complément aux financements publics, aux financements issus de la filière et aux investissements privés et non l’inverse comme pourrait le laisser entendre la communication de la commission. Si l’enjeu est d’aller chercher de nouvelles sources de financement pour le secteur des terres via les marchés carbone volontaires il y a fort à parier que le résultat soit très décevant. En revanche, si l’enjeu est de se doter d’un outil pour flécher plus efficacement les financements vers des projets bas-carbone, le futur cadre européen pourrait être un outil structurant dans l’atteinte des objectifs fixés par le Green Deal.
Sous ces trois conditions, l’Europe pourra se doter d’une taxonomie robuste et crédible pour financer la transition bas carbone des secteurs agricole et forestier.