Il n’y aura pas de « relance verte » sans les collectivités
Les collectivités territoriales auront un rôle central à jouer pour une relance de l’économie compatible avec les objectifs climatiques. Pour Morgane Nicol, directrice du programme Territoires d’I4CE, il est crucial de ne pas le sous-estimer, et d’assurer que les collectivités territoriales auront les capacités d’investir et de concevoir rapidement de nouveaux projets à la hauteur des objectifs climatiques nationaux. Les premières mesures d’urgence annoncées sont un bon premier pas, mais elles devront être complétées par de nouvelles mesures dans les prochaines lois de finance.
Le président de la République et Bruno Le Maire l’ont tous deux affirmés : la relance de l’économie doit permettre d’accélérer la transition vers une économie bas carbone. Mais la « relance verte » ne se concrétisera pas sans une implication majeure des collectivités territoriales.
Les collectivités seront le moteur d’une « relance verte »
En effet, celles-ci portent près de 70% de l’investissement public français, tous secteurs de l’économie confondus. Elles disposent par ailleurs de compétences clés pour l’atteinte des objectifs nationaux de neutralité carbone et d’adaptation au changement climatique. Ce sont elles par exemple qui impulsent les stratégies de mobilité décarbonée, qu’il s’agisse de transports en commun urbain, de création de nouvelles pistes cyclables et voies piétonnes, ou de mise en place de bornes de recharge pour véhicules électriques. Ce sont elles également qui ont la charge d’accélérer la rénovation énergétique des logements par l’animation du service d’accompagnement pour la rénovation énergétique (programme SARE).
Ce sont également les collectivités qui seront les moteurs de l’adaptation de notre territoire aux impacts du changement climatique. Elles devront par exemple adapter les espaces publics urbains aux futures vagues de chaleur. Ou encore agir pour la recomposition de certains espaces, tels que des espaces littoraux, ou la réorientation de certaines activités économiques, pour les adapter aux conséquences du changement climatique.
Il est crucial de soutenir l’investissement « vert » des collectivités territoriales
Ainsi, ne serait-ce que pour la rénovation des bâtiments publics et le développement des infrastructures de transport collectif, ce sont 6,4 milliards d’euros d’investissement et de co-financement qui sont attendus, annuellement, de la part des collectivités françaises dans les prochaines années. Ceci représente une hausse de 2 milliards d’euros par rapport au niveau actuel d’investissement, et la moitié des investissements totaux attendus de l’ensemble des acteurs publics et privés pour ces actions.
Les élus sont prêts à s’engager dans des investissements massifs pour la relance. Ceci est une excellente nouvelle car le prochain mandat, municipal comme régional, est celui où il faudra accélérer et « massifier » les actions de transition, certains observateurs parlant même de « dernier mandat pour réussir ». Mais pour remplir ce rôle il leur faudra faire face à la très forte baisse de leurs recettes due à la crise sanitaire actuelle, une baisse estimée pour le moment à 7,5 milliards d’euros pour 2020 et 10 milliards d’euros pour 2021. Pour que la relance économique permette également une accélération de la transition écologique, l’État va devoir fortement soutenir l’investissement des collectivités territoriales.
Les mesures d’urgence à destination des collectivités que le gouvernement vient d’annoncer sont un bon début, mais il faudra à n’en pas douter aller plus loin.
Augmenter les soutiens à l’investissement « vert » des collectivités territoriales
L’augmentation de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), distribuée par les préfets et destinée au financement de projets d’investissement présentés par les communes et leurs groupements, est assurément une bonne nouvelle : cette hausse d’un milliard d’euros pour 2020 sera fléchée vers des projets de transition écologique et de santé. Elle présente cependant trois limites qu’il importe de souligner : elle n’est accessible qu’aux communes et EPCI alors que tous les échelons de collectivités sont concernés ; elle ne finance que de manière limitée les dépenses de fonctionnement nécessaires à la conception des projets ; et contrairement à une recette de fonctionnement, elle n’a aucun effet de levier sur l’autofinancement.
On peut aussi s’interroger sur le montant de cette hausse. Vu l’impact de la crise sur les finances locales et le rythme d’augmentation des investissements climat requis pour atteindre les objectifs climatiques, il est probable que les moyens mis sur la table jusqu’à présent ne suffiront pas. Mais aucun chiffre n’existe à ce jour sur l’ampleur des besoins financiers des collectivités territoriales pour réaliser ces investissements climat! Pour s’assurer que les prochaines lois de finance soient à la hauteur de l’enjeu, il est donc indispensable que les collectivités évaluent, à très court terme, leurs besoins de financement, sur la base des trajectoires de décarbonisation qu’elles ont élaborées ces dernières années.
En échange d’une augmentation de leurs ressources, par exemple via l’affectation d’une quote-part de la fiscalité écologique comme demandé par plusieurs associations de collectivités, les collectivités pourraient s’engager à verdir leurs investissements et à améliorer le suivi de leurs dépenses favorables au climat, des dépenses par nature transversales, grâce à l’évaluation climat de leurs budgets.
Soutenir la capacité des collectivités à faire émerger des projets
Ensuite, c’est une évidence bonne à rappeler : il ne suffit pas d’aligner des milliards d’euros de financement pour que les investissements se fassent sur le terrain, comme en témoigne la faible utilisation de certains dispositifs. Pour que des projets émergent et mûrissent il faut aussi que les collectivités disposent de ressources humaines pour prendre en charge l’animation et la concertation territoriale, pour définir les trajectoires de transition et structurer les projets. Elles ont aussi besoin d’ingénierie et d’expertise. Tout cela implique une hausse des dépenses de fonctionnement dédiées. Il sera donc utile de maintenir l’assouplissement récent des contraintes pesant sur la trajectoire de ces dépenses depuis le « contrat de Cahors ». Et il faudra réfléchir à leur apporter des moyens additionnels, sous la forme de recettes de fonctionnement et la mise à disposition de compétences en ingénierie et d’expertise.
Simplifier la mosaïque trop complexe des financements
Enfin, l’augmentation des financements à disposition des collectivités pour réaliser des investissements climat devra éviter l’écueil de la multiplication des dispositifs et guichets, qui ajouterait encore plus de complexité au système actuel qu’il faut, au contraire, simplifier. L’intégration d’objectifs d’investissement climat dans les contrats et programmes existants, comme le programme « Action cœur de ville » ou les Contrats de plan État-Région, constituerait une bonne avancée. Et à plus long terme, il faudra envisager la négociation d’un « super contrat territorial » réunissant les dispositifs existants et les complétant, assorti d’engagements de l’ensemble des financeurs. Une contractualisation globale permettrait en effet d’inscrire dans la durée un projet de territoire et les moyens de sa mise en œuvre.