Déficit d’investissement climat européen : Une trajectoire d’investissement pour l’avenir de l’Europe
Les investissements climat ont augmenté de 9 % dans l’Union européenne en 2022. Ce rapport constate que le Pacte vert européen prend de l’ampleur sur le plan économique, mais que les investissements dans la modernisation du secteur de l’énergie, des transports et des bâtiments doivent encore doubler pour que l’UE atteigne les objectifs climat de 2030.
Rapport uniquement disponible en anglais
Les investissements climat réalisés aujourd’hui façonnent l’avenir de l’Europe
Pour agir pour le climat, la sécurité énergétique et une énergie abordable par tous, l’Union européenne s’est fixée des objectifs ambitieux à l’horizon 2030.
Pour les atteindre, il faut investir massivement dans l’économie européenne. Les investissements réalisés aujourd’hui façonnent l’avenir de l’Europe. La rénovation d’un logement réduit sa consommation d’énergie pour les prochaines décennies, ce qui contribue à rendre l’économie plus résistante aux crises énergétiques liées aux combustibles fossiles. La construction d’une nouvelle centrale éolienne augmente la quantité d’électricité renouvelable bon marché à laquelle l’industrie européenne peut accéder pour renforcer sa compétitivité.
Outre leurs effets positifs sur le climat, les investissements dans le domaine du climat favorisent de nombreuses priorités politiques de l’UE. Le déploiement de l’énergie éolienne et solaire fait baisser les prix de l’électricité et contribue ainsi à contenir l’inflation (AIE, 2023c). Le déploiement de pompes à chaleur renforce la sécurité énergétique de l’UE en réduisant sa dépendance au gaz russe (Bruegel, 2023b). Le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques réduit la pollution atmosphérique et améliore la santé publique (AEE, 2023). Les investissements en faveur du climat sont également essentiels pour créer des marchés de pointes permettant à l’industrie européenne de renforcer son avantage concurrentiel dans la course mondiale aux technologies propres (I4CE, 2023e). Enfin, ces investissements peuvent être considérés comme un impératif démocratique, les citoyens européens souhaitant que l’UE continue de donner priorité à l’action climatique (Eurobaromètre, 2023).
Un meilleur suivi des investissements publics et privés dans le domaine du climat permettra de mesurer les changements structurels dans l’économie de l’UE. Ce rapport estime le déficit d’investissement climat, c’est-à-dire la différence entre A) le total des investissements nécessaires chaque année d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs de l’UE pour 2030 et B) les investissements climat publics et privés effectivement réalisés dans l’économie de l’UE au cours de la dernière année disponible.
Ce déficit d’investissement climat est un indicateur clé des progrès structurels réalisés par l’économie de l’UE : plus le déficit est faible, plus l’économie de l’UE réalise des changements structurels. Au-delà des chiffres globaux, une analyse granulaire permet de comprendre les causes profondes du déficit d’investissement climat. En effet, certains secteurs présentent des investissements secteurs qui se portent mieux que dans d’autres, certains secteurs pouvant même se trouver dans une situation d’excédent d’investissement climat.
Toutefois, l’UE ne dispose pas d’un outil cohérent pour assurer le suivi annuel du déficit d’investissement dans le domaine du climat. C’est pourquoi le Conseil scientifique consultatif sur le climat (European Scientific Advisory Board on Climate Change), créé par la loi européenne sur le climat et rattaché à l’Agence européenne pour l’environnement, a récemment appelé l’UE à « s’efforcer d’obtenir une vue d’ensemble plus granulaire et plus précise des investissements requis et réels dans l’atténuation du changement climatique afin de suivre et d’évaluer les progrès réalisés » (European Scientific Advisory Board on Climate Change, 2024).
Ce rapport contribue à combler cette lacune.
Les investissements climat dans l’économie européenne ont augmenté de 9 % en 2022, atteignant 407 milliards d’euros dans 22 secteurs
Ce rapport suit les investissements publics et privés de l’Europe (EU27) dans 22 secteurs dont l’énergie éolienne, la rénovation des bâtiments, les voitures électriques et d’autres secteurs (présentés dans la figure 2) qui sont essentiels à la transformation des systèmes énergétiques, des bâtiments et du transport. Les investissements dans ces secteurs ont augmenté de 9 % entre 2021 et 2022, atteignant 407 milliards d’euros en 2022, soit 2,6 % du PIB.
Si on regarde à un niveau plus granulaire, notre recherche a révélé que les tendances récentes des investissements européens dans les secteurs couverts varient. Les investissements dans les panneaux solaires et les voitures électriques ont augmenté de manière significative. Les investissements dans les pompes à chaleur ont même doublé entre 2020 et 2022. Cela suggère que l’économie de l’UE va dans la bonne direction dans ces secteurs, bien que trop lentement compte tenu du niveau d’ambition de l’UE. Nos recherches ont toutefois révélé que les investissements dans l’énergie éolienne s’effondraient en 2022, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2009.
L’économie européenne doit doubler son niveau d’investissement climat pour atteindre les objectifs de l’UE pour 2030
Notre étude a comparé les niveaux d’investissement de 2022 avec les niveaux d’investissement nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs de l’UE pour 2030 dans chacun des 22 secteurs couverts par ce rapport, composant les systèmes énergétique, des bâtiments et des transports. Il en résulte un besoin d’investissement annuel moyen global d’au moins 813 milliards d’euros, soit 5,1 % du PIB de l’UE. Les investissements dans l’économie réelle ayant atteint 407 milliards d’euros en 2022, le déficit d’investissement européen dans le domaine du climat s’élève ainsi à 406 milliards d’euros par an, soit 2,6 % du PIB. En comparaison, les subventions explicites et implicites aux combustibles fossiles dans l’UE ont augmenté et ont atteint 290 milliards d’euros en 2022 (FMI, 2023).
En d’autres termes, les niveaux actuels d’investissements publics et privés représentent déjà la moitié du total des investissements nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs de l’UE pour 2030 dans les secteurs de l’énergie, du bâtiment et des transports. Pourtant, il est essentiel de doubler ces investissements pour obtenir les avantages économiques, géopolitiques et climatiques auxquels les décideurs politiques de l’UE se sont engagés.
L’hydroélectricité et le stockage en batterie sont en tête, l’énergie éolienne est à la peine
En examinant les 22 secteurs couverts par ce rapport, notre recherche souligne que dans seulement deux secteurs, l’hydroélectricité et le stockage électrique en batterie, les investissements climat de 2022 sont supérieurs aux besoins annuels d’investissement pour ces deux secteurs. Ces secteurs sont donc en situation de surplus d’investissements climat.
Les 20 autres secteurs souffrent tous d’un déficit d’investissement climat, dans des proportions variables. Par exemple, en 2022, les investissements dans l’énergie éolienne ne représentent que 17 % des besoins d’investissement annuels totaux. À l’inverse, les investissements dans les panneaux solaires représentent déjà 78 % des besoins d’investissement annuels totaux.
En valeurs absolues, le déficit d’investissement climat dans certains secteurs critiques serait relativement facile à combler. Par exemple, combler le déficit d’investissement climat dans les bornes de recharge publiques pour véhicules électriques ne nécessiterait que 4 milliards d’euros d’investissementssupplémentaires par an (cf. figure 2).
Mieux évaluer le déficit d’investissement climat : Les institutions de l’UE devraient mettre en place leur propre système de suivi annuel, transparent et plus complet, du déficit d’investissement climat de l’UE
Compte tenu de son importance, la Commission européenne devrait mieux évaluer et traiter le déficit d’investissement climat de l’UE, sous peine de voir le Pacte vert ne pas tenir ses promesses économiques, sociales et environnementales. Pour mieux évaluer le déficit d’investissement climat, les institutions de l’UE devraient s’appuyer sur les recherches de ce rapport et fournir leur propre évaluation, de manière plus précise, plus granulaire et plus complète :
- Un besoin d’évaluation plus précise : l’accès aux données représente un véritable défi, en particulier dans le secteur des bâtiments. Lorsque nous avons été confrontés à différentes options méthodologiques, nous avons systématiquement opté pour la plus prudente. Cela peut conduire à une sous-estimation dans certains secteurs et à une surestimation dans d’autres.
- Un besoin d’évaluation plus granulaire : notre rapport s’appuie sur les données agrégées pour l’Europe des 27. Une approche plus fine pourrait s’appuyer sur des données nationales et régionales pertinentes pour les politiques publiques nationales et locales. Les gouvernements nationaux et les organismes de recherche peuvent utiliser la méthodologie développée par I4CE pour la France et l’UE, et l’adapter pour l’appliquer à une économie nationale spécifique.
- Un besoin d’évaluation plus complète : notre rapport ne couvre que 22 secteurs dans les domaines de l’énergie, du bâtiment et des transports. En raison d’un manque d’accès à des données fiables, des secteurs critiques tels que l’industrie, l’agriculture et l’adaptation au changement climatique ne sont pas couverts par ce rapport.
L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) poursuit et élargit son analyse afin de fournir une estimation annuelle actualisée pouvant être utilisée par la Commission, le Conseil et le Parlement de l’UE, alors qu’un nouveau mandat doit débuter après les élections du 9 juin 2024.
S’attaquer au déficit d’investissement climat : combler le déficit d’investissement climat européen grâce à un plan d’investissement à long terme de l’UE dans le domaine du climat
Pour combler le déficit d’investissement climat, il faudrait adopter une approche globale faisant intervenir à la fois les réglementations existantes et futures, les systèmes de tarification du carbone ainsi que les mécanismes de financement public. Compte tenu de l’ampleur du déficit actuel et de la réduction attendue du financement de l’UE pour le climat dans les années à venir (Bruegel, 2023a), un financement public supplémentaire de l’UE est probablement nécessaire pour contribuer à combler le déficit d’investissement dans le domaine du climat.
Une évaluation granulaire du déficit d’investissement climat permet d’alimenter le débat sur la bonne articulation entre financement public et financement privé. Par leur nature même, certains secteurs dépendent du financement public, comme la rénovation des écoles primaires. Certains secteurs dépendent quant à eux, dans une certaine mesure, de financements européens, comme l’interconnexion transeuropéenne des infrastructures électriques et ferroviaires. D’autres peuvent s’appuyer en grande partie sur des financements privés si les conditions-cadres adéquates sont mises en place.
La quantité, la nature et le ciblage sectoriel des financements de l’UE dépendront donc des secteurs économiques concernés et des choix politiques.
Ce rapport se termine par une liste de questions politiques qui dépassent le cadre de notre recherche. Un débat sur un futur plan d’investissement à long terme de l’UE en faveur du climat devrait y répondre. Il s’agit notamment des outils de financement public à mettre en place permettant d’attirer des fonds privés, du rôle du financement public des États membres qui peut être soutenu par les fonds et les politiques de l’UE et/ou limité par les règles fiscales de l’UE, ainsi que du débat sur les sources potentielles de nouveaux financements de l’UE et de leur articulation avec les priorités politiques générales de l’UE.
Afin d’alimenter ce débat, ce rapport fournit des données granulaires et transparentes pour aider les citoyens et les décideurs politiques de l’UE à prendre des décisions éclairées, avant et après les élections européennes du 9 juin 2024.