Investissements pour décarboner l’industrie lourde en France : quoi, combien et quand ?

La politique industrielle se développe en France avec deux objectifs : relocaliser et décarboner. Dans cette étude, I4CE a voulu estimer les investissements à réaliser pour décarboner les sites de production de quatre branches de l’industrie lourde qui représentent environ la moitié des émissions industrielles. Il s’agit d’une information clé pour identifier les besoins de financement et calibrer le soutien public aux industriels.

 

Industrie : relocalisation et décarbonation au cœur des débats

La récente succession de crises (sanitaire, énergétique, géopolitique) et une concurrence internationale accrue ont conduit la France à vouloir renforcer sa souveraineté industrielle et énergétique. Un défi qui s’ajoute à celui de la décarbonation de son industrie. Dans ce contexte, la politique industrielle se développe en France et en Europe avec ces deux objectifs – relocalisation et décarbonation – et avec de nouveaux outils comme le plan France 2030 ou le Net Zero Industry Act au niveau européen. Une politique qui cible à la fois l’industrie « historique », comme l’acier ou le ciment, et l’industrie des nouvelles technologies propres, du solaire aux batteries.  

 

L’industrie est un secteur très émetteur. Elle représente 20 % du total des émissions territoriales de gaz à effet de serre, et devra les réduire de 81 % selon l’objectif de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Une part importante des émissions industrielles est concentrée dans l’industrie dite « lourde ». Située en amont de la chaîne de production, l’industrie lourde se caractérise par un nombre réduit de sites de production et des émissions liées à la fois à l’énergie utilisée et aux procédés de production eux-mêmes. Cette industrie devra se transformer en profondeur. La SNBC actuellement en vigueur fixe un cap de décarbonation pour l’industrie mais détaille très peu les technologies et politiques publiques qui seront nécessaires. 

 

Dans cette étude, nous avons voulu estimer les besoins d’investissements à réaliser sur les sites de quatre branches de l’industrie lourde : l’acier, le ciment, les alcènes et aromatiques, et l’ammoniac, qui représentent ensemble environ la moitié des émissions industrielles. Il s’agit d’une information clé : le montant et le rythme de déploiement des investissements permettent notamment d’identifier les besoins de financement et de calibrer les besoins de soutien public aux industriels. 

 

Une méthode pour estimer les besoins d’investissements selon divers scénarios de décarbonation

Nous avons développé une méthode pour estimer les besoins d’investissements, sur site, pour les quatre branches industrielles retenues. Et cela selon différents scénarios : nous utilisons les quatre scénarios contrastés d’atteinte de la neutralité carbone, Transitions(s) 2050, développés par l’ADEME. 

 

Les estimations des besoins d’investissements correspondent au cumul des investissements nécessaires pour transformer le parc industriel existant d’ici 2050. Les investissements couvrent à la fois des opérations de maintien et de décarbonation des équipements existants, et le déploiement de nouvelles technologies sur les sites de production. Nous ne couvrons pas les coûts d’exploitation des équipements ni les mesures liées à l’adaptation au changement climatique. 

 

En estimant les besoins d’investissements sur les sites mêmes de production, nous mettons de côté les investissements nécessaires ailleurs pour décarboner l’industrie : les infrastructures de production et transport d’énergie bas-carbone, de transport d’hydrogène ou encore de transport et stockage de CO2. 

 

De 3 à 14 milliards d’euros d’investissements : quelle industrie pour demain ?

Les besoins d’investissements pour décarboner les productions d’acier, de ciment, d’alcènes et aromatiques, et d’ammoniac sont compris entre 3 milliards d’euros pour le scénario S1 « Génération frugale » de l’ADEME, et 14 milliards d’euros pour le scénario S3 « Technologies vertes ».

 

Le résultat qui frappe d’abord est l’ampleur de l’écart entre les besoins d’investissements selon les différents scénarios. Cet écart reflète essentiellement deux caractéristiques interdépendantes des scénarios de décarbonation : le niveau de production industrielle et les technologies de production employées. Les scénarios qui prévoient le plus de besoins de matériaux issus de l’industrie impliquent d’importants investissements pour remplacer les procédés existants par d’autres moins émetteurs. À l’inverse, les scénarios qui reposent sur des mutations des autres activités économiques, devenant moins dépendantes de matériaux (par exemple moins de constructions neuves dans le secteur du bâtiment, ou davantage de recyclage et de réemploi), peuvent conserver des technologies existantes, qui nécessitent moins de nouveaux investissements. Selon le scénario de décarbonation étudié, les besoins d’investissements sur les sites de production varient ainsi fortement. 

 

Des investissements à réaliser rapidement

Ce qui frappe également est une apparente faiblesse des montants estimés : 14 milliards d’euros pour le scénario le plus intensif en investissements d’ici 2050. Il faut bien garder en tête que ces estimations portent sur un peu moins de la moitié de l’industrie, et sur des branches dont la production est concentrée sur un nombre réduit de sites. Décarboner l’ensemble de l’industrie demandera donc bien plus d’investissements. De plus, ces besoins d’investissements se limitent aux sites de production, sans chiffrer les investissements nécessaires dans les infrastructures dont ils dépendent. 

 

Surtout, bien que l’objectif de neutralité carbone soit pour 2050, les investissements vont devoir être faits dans les prochaines années. Les cibles de décarbonation à l’horizon 2030 et la fin des quotas gratuits au sein du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne incitent à investir rapidement dans la décarbonation de l’industrie.  

 

Nous avons construit des chroniques de déploiement des investissements qui reflètent ces incitations et intègrent également plusieurs contraintes sectorielles ou technologiques, comme les cycles de renouvellement des équipements et le temps de déploiement de certaines technologies. Selon les scénarios, entre 55 % et 80 % des investissements sont déployés avant 2035. 

 

Mieux planifier la transition de l’industrie

Pour déployer rapidement les investissements de décarbonation de l’industrie, l’État doit mieux planifier les transformations à réaliser. Les scénarios possibles sont multiples. Cette incertitude est logique, après tout nous ne savons et ne pouvons pas savoir précisément à quoi ressembleront l’économie et les technologies de demain. Mais un tel niveau d’incertitude pose problème. Il pose problème aux acteurs privés : les industries étudiées vont-elles devoir investir 3 ou 14 milliards d’euros ? Il pose problème à l’État et plus généralement aux acteurs publics : quelles aides et quelle enveloppe budgétaire allouer à la décarbonation de l’industrie ? L’État et les industriels vont devoir préciser davantage la stratégie de décarbonation de l’industrie, en y incluant le développement des infrastructures nécessaires, et s’assurer qu’elle s’inscrive dans une cohérence d’ensemble au niveau national avec la décarbonation des autres secteurs. 

 

 

 

Soutenu par

Investissements pour décarboner l’industrie lourde en France : quoi, combien et quand ? Télécharger
Voir les annexes
  • Annexe – Investissements pour décarboner l’industrie lourde en France quoi, combien et quand Télécharger
Contacts I4CE
Solène METAYER
Solène METAYER
Chercheuse – Énergie, Financement de la transition à l'international Email
Erwann KERRAND
Erwann KERRAND
Chercheur – Industrie, Budget de l'État Email
Hadrien HAINAUT
Hadrien HAINAUT
Responsable d'unité – Panorama des financements climat, Transition énergétique et prospective Email
Dr. Louise KESSLER
Dr. Louise KESSLER
Directrice de programme – Outils de pilotage, Financement de la transition Email
Pour aller plus loin
  • 10/12/2024 Tribune
    Budget et climat : les douze travaux des pouvoirs publics

    Le changement climatique n’a pas disparu avec la motion de censure. La dynamique d’investissement en faveur du climat, amorcée par le public et le privé, doit se poursuivre pour assurer notre sécurité énergétique et la résilience de notre modèle agricole. Pour Benoît Leguet, il faut prendre les bonnes décisions dès la future loi de finances 2025. La « réalité [budgétaire] ne disparaîtra pas par l’enchantement d’une motion de censure », prévenait Michel Barnier juste avant la chute de son gouvernement. Il aurait pu ajouter « les réalités du changement climatique et de la transition écologique non plus ».

  • 19/07/2024
    Top départ pour la nouvelle législature

    Ni la campagne législative ni ses résultats n’auront permis de clarifier l’avenir de la planification écologique et d’arbitrer un chemin à suivre. Les enquêtes prouvent que l’opinion soutient très largement la finalité de l’action climatique mais les clivages s’accentuent sur les voies et moyens. La vision caricaturale d’une « écologie punitive » ne fera que prospérer tant que le débat sur le partage de l’effort n’est pas résolu dans une perspective d’équité et d’adhésion large des Français. Dans le contexte institutionnel que nous connaissons, la suite dépendra beaucoup des initiatives des parlementaires. 
    Dans cette dernière newsletter avant la trêve estivale, à l’heure où la nouvelle Assemblée se réunit pour la première fois, [i4ce] vous propose de faire le point sur les prochains sujets que les parlementaires auront à traiter et de relire nos dernières études associées. 

  • 18/07/2024 Billet d'analyse
    Le défi de l’investissement climat derrière le plan de prospérité européen

    Le programme de compétitivité d’Ursula Von der Leyen fait la une des journaux, mais le dur labeur de la mise en œuvre et de des investissements pour le climat ne fait que commencer. Dans le billet ci-joint (en anglais), Ciaran Humphreys et Dorthe Nielsen décrivent les défis que pose cette phase de mise en œuvre et comment aligner l’ambition climatique sur la vision économique de la présidente.

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer