Décryptage des financements du système alimentaire français et de leur contribution aux enjeux de durabilité

14 octobre 2021 - Étude Climat - Par : Lucile ROGISSART / Hadrien HAINAUT / Claudine FOUCHEROT

Dans cette étude, I4CE recense et décrypte 280 milliards € de financement des revenus de la chaine alimentaire, principalement par les consommateurs, et 40 milliards de financement des investissements. Ces financements – et notamment les 26 milliards de subventions publiques et d’exonérations de taxes et de cotisations – sont trop rarement cohérents avec les visions disponibles d’un système alimentaire durable.

 

Les financements du système alimentaire français sont à ce jour encore mal connus. Pourtant, les financements constituent l’un des leviers incontournables pour mettre en œuvre la nécessaire transition vers un système alimentaire durable. Nous réalisons dans cette étude un état des lieux des financements du système alimentaire et de leur contribution à cette transition. Cet exercice innovant porte sur l’année 2018 – date des dernières données disponibles –, ce qui ne permet donc pas de traiter les conséquences de la crise de Covid-19 ou des plans de relance et d’investissement qui y sont liés.

 

 

Estimer les financements du système alimentaire

Notre estimation porte sur les financements perçus par la chaîne alimentaire française, dont nous identifions la nature, estimons les montants et décrivons les acteurs impliqués. Nous distinguons deux grands types de flux :

 

Le financement des revenus de la chaîne alimentaire, estimé à près de 280 Mds d’euros. Celui-ci se compose à 90 % de dépenses alimentaires des ménages en vente et en restauration, et à 10 % de subventions publiques et d’exonérations de taxes et de cotisations. Ce chiffrage n’inclut pas les ventes hors chaîne alimentaire française, c’est-à-dire les exportations et les ventes aux entreprises françaises non alimentaires.

Le financement des investissements de la chaîne alimentaire, estimé à 41 Mds d’euros. Ces investissements sont financés majoritairement par des fonds propres (internes ou externes à ces mêmes entreprises), des prêts bancaires et obligations, des subventions à l’investissement, ainsi que par des prêts d’institutions financières publiques. Le financement participatif et la philanthropie contribuent minoritairement à ce financement.

 

> Défi : réorienter conjointement le financement des investissements pour transformer les moyens de production sur le long terme, et le financement des revenus pour permettre aux modes de production durable d’être économiquement viables.

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

 

Evaluer la durabilité de ces financements

Nous proposons également une première évaluation de ces flux de financement par rapport à une vision du système alimentaire durable. Deux éléments majeurs caractérisent cette évaluation :

 

• La vision du système alimentaire durable retenue est tirée des points de consensus entre les scénarios Afterres de Solagro, TYFA de l’IDDRI, et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France. Ces scénarios ont été choisis car ce sont les seuls à l’heure actuelle qui sont suffisamment précis et qui satisfont simultanément des objectifs de durabilité de différente nature : réduction des émissions de gaz à effet de serre, préservation de l’environnement et adéquation avec les recommandations nutritionnelles.

• Par manque de données, notre évaluation ne porte pas sur la durabilité des projets ou des produits effectivement financés, mais sur les critères d’attribution de ces financements. Ainsi, nous évaluons davantage les intentions explicites des acteurs du financement que leurs réalisations effectives.

 

Pour plus de détails concernant la méthodologie employée et les défis que posent une telle évaluation, voir Évaluer la durabilité du système alimentaire français : enjeux méthodologiques et résultats.

 

D’après cette évaluation, il apparaît que :

 

Les 26 Mds d’euros de subventions publiques (aux revenus et à l’investissement) et d’exonérations de taxes et de cotisations sont trop largement attribuées selon des
critères incompatibles avec l’émergence d’un système alimentaire durable tels que décrit par les trois scénarios retenus. En particulier, les critères d’éligibilité des aides de
la PAC sont en grande partie insuffisants – notamment les aides directes et paiements verts –, les règles encadrant les repas des cantines publiques ne correspondent pas à un régime durable, et l’usage de carburants fossiles bénéficie toujours d’exonérations de taxes.

 

> Défi : rendre cohérents tous les critères d’attribution des subventions et exonérations avec la transition vers un système alimentaire durable tout en tenant compte des fragilités économiques de certains secteurs. Le Plan stratégique national qui traduira les règles de la nouvelle PAC à l’échelle de la France devra en particulier s’y attacher.

 

Les 39 Mds d’euros de financements de l’investissement hors subventions manquent très largement de transparence : les ¾ n’ont pas pu être évalués par rapport aux enjeux de durabilité par manque d’information sur leurs critères d’attribution. Quant aux rares financements pour lesquels nous disposons des critères d’attribution, ceux-ci
sont presque tous fondés exclusivement sur des critères de rentabilité privée, négligeant les éventuels coûts et bénéfices cachés des investissements soutenus.

 

> Défi : rendre les critères d’attribution des financeurs privés de l’investissement comme des institutions financières publiques davantage transparents et alignés avec les enjeux de transition du système alimentaire.

 

Les 255 Mds d’euros de dépenses alimentaires des ménages sont globalement encore loin des recommandations formulées dans les scénarios retenus : en particulier, les produits bio ne représentent que 3 % des quantités achetées alors qu’ils devraient être portés à au moins 75 % d’après les scénarios TYFA et Afterres. Or, les consommateurs étant les financeurs prépondérants des revenus de la chaîne alimentaire, le passage à l’échelle de la transition agroécologique ne pourra pas se faire sans des changements importants de comportements alimentaires.

 

> Défi : réussir à inciter les consommateurs à adopter des comportements alimentaires plus durables tout en tenant compte des impacts de telles transitions pour les ménages en situation de précarité.

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Claudine Foucherot d’I4CE vous explique en deux minutes comment se finance le système alimentaire et si ces financements sont alignés avec une alimentation durable : 

 

 

Cette étude est une première tentative de décryptage des flux de financements de la chaîne alimentaire et de leur contribution à la durabilité. Comme toute première tentative, celle-ci comporte ses limites et demande à être affinée, notamment en élargissant le périmètre des flux étudiés. Nous sommes ainsi à l’écoute de toutes remarques constructives pour améliorer cet exercice, et éventuellement corriger des erreurs ou oublis qui auraient échappé à notre vigilance. Un rapport dédié décrit de manière détaillée les défis méthodologiques et les choix réalisés.

Décryptage des financements du système alimentaire français et de leur contribution aux enjeux de durabilité Télécharger
Contacts I4CE
Lucile ROGISSART
Lucile ROGISSART
Chercheuse – Financement de la transition agricole, Alimentation Email
Hadrien HAINAUT
Hadrien HAINAUT
Responsable d'unité – Panorama des financements climat, Transition énergétique et prospective Email
Pour aller plus loin
  • 07/02/2025
    Agriculture, crises, transition : sortir de l’impasse par un débat constructif

    Le Salon de l’agriculture s’ouvre dans quelques semaines à Paris, après plus d’un an de hautes tensions, et à l’issue d’élections des Chambres d’agriculture, elles aussi tendues. Pour tenter d’apaiser la colère agricole, puis pour alléger le déficit public, gouvernements et parlementaires ont pris ou proposé des mesures dans l’urgence. Encore récemment, certaines de ces mesures ont remis en question les ambitions environnementales, sans pour autant répondre aux demandes d’une majorité d’agriculteurs pour des revenus rémunérateurs et des relations commerciales plus justes. C’est le cas par exemple des projets de coupes budgétaires dans les mesures de planification écologique, nées du budget 2024.

  • 03/02/2025
    TRAMe2035 Scénario pour une Transition des Régimes Alimentaires des Ménages

    L’alimentation actuelle et la production alimentaire associée génèrent un ensemble de problèmes de santé publique, sociaux et environnementaux. La nécessité d’une transition ne fait plus débat : il faut aller vers une alimentation saine, à faibles impacts sur les écosystèmes, accessible à tous et rémunérant équitablement les producteurs. Reconnaissons-le dès à présent : les questions que nous posons ici sont sensibles politiquement et socialement, l’alimentation recouvrant des dimensions à la fois culturelles, économiques, environnementales et sanitaires. Développer des méthodes permettant de les mettre en débat est néanmoins indispensable. L’Iddri et [i4ce] se sont ainsi mobilisés en lien avec de nombreux acteurs pour proposer un éclairage de nature à nourrir le débat.

  • 27/09/2024 Billet d'analyse
    Agriculture et l’alimentation : Comment poursuivre la dynamique climat dans le contexte de tension budgétaire ?

    Des turbulences sont en vue du côté des financements publics de l’agriculture, alors que la séquence budgétaire s’ouvre et que les représentants agricoles menacent de reprendre la mobilisation. Pour éclairer ce débat, I4CE publie un état des lieux et une analyse environnementale des financements publics soutenant le secteur agricole, mais aussi les secteurs de l’industrie agroalimentaire, de la restauration et de la distribution. D’après cette étude, 53,6 milliards d’euros de financements publics soutiennent notre agriculture et notre alimentation en 2024. Et contrairement à une idée reçue, tout ne vient pas de Bruxelles : les soutiens de l’Etat représentent 60 % du total, les collectivités territoriales 20 %. Ces soutiens agrègent les incitations, subventions, exonérations, investissements et dépenses de fonctionnement, de la fourche jusqu’à la fourchette. 

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer