Adaptation de l’immobilier : quels rôles pour le secteur financier ?
Premier état des lieux et pistes sur les banques, assureurs, gestionnaires d’actifs
Un besoin de clarifier le rôle des banques, assureurs dommage et gestionnaires d’actifs dans l’adaptation de l’immobilier
Alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus manifestes, les parties prenantes de l’immobilier doivent se préparer aux conséquences du réchauffement climatique qui pourrait atteindre, d’ici la fin du siècle en France, +4°C. L’enjeu pour le secteur immobilier va de la prévention des dommages liés au changement climatique (ex. relocaliser le bien situé initialement dans une zone où le risque inondation s’accentue, installer des volets contre les vagues de chaleur en augmentation) à la résilience aux situations de crise (ex. plans d’évacuation face à des aléas qui s’intensifient, reconstruction).
Cela soulève la question de la prise en charge des coûts de l’adaptation. On estime actuellement que les montants se comptent, a minima, en milliards d’euros par an pour les seules vagues de chaleur, auxquels s’ajoutent les coûts de l’adaptation aux inondations et au phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. Alors que le recours aux outils de la finance publique est de plus en plus contraint, se pose la question du rôle potentiel des acteurs financiers commerciaux, aux côtés des acteurs publics, des ménages et des entreprises.
Ce rapport exploratoire vise à poser les bases d’un dialogue sur le rôle potentiel des banques commerciales, des sociétés d’assurance dommage et des sociétés de gestion d’actifs, dans le portage des investissements pour l’adaptation de l’immobilier, et l’offre de services financiers adéquats. Il a bénéficié de premiers témoignages d’institutions financières et de professionnels du secteur immobilier en France, ainsi qu’une revue bibliographique.
Dans le cadre de son activité de fourniture de capitaux, on pourrait s’attendre à ce que le secteur financier accompagne les parties prenantes de l’immobilier dans leur démarche d’adaptation
Les acteurs financiers peuvent voir un intérêt à l’adaptation de l’immobilier, en termes d’opportunité de marché (services financiers à proposer, capacité à se différencier en étant proactifs sur le sujet), mais aussi en termes de limitation de leurs propres risques. Par exemple, la rentabilité d’une action d’entreprise immobilière pourrait diminuer si cette dernière prenait du retard sur les questions d’adaptation face à ses pairs.
Les acteurs financiers ont plusieurs leviers à leur main pour accompagner les acteurs de l’immobilier dans l’adaptation. Les gestionnaires d’actifs (au nom de leurs investisseurs) et les banques fournissent des capitaux – prêts et investissements – qui peuvent être utiles à l’acteur immobilier pour adapter ses propres activités ou développer des offres pour adapter les activités des autres. L’assureur promet quant à lui les capitaux en cas de sinistre. Cette activité de services financiers confère aux banquiers, assureurs et gestionnaires d’actifs, une capacité à influencer l’ensemble de la démarche d’adaptation de l’acteur immobilier, sous divers angles illustrés dans le rapport (figure page 7).
En pratique le secteur financier a manifesté jusqu’ici une dynamique limitée sur l’adaptation de l’immobilier
Si les témoignages sont inégaux côté gestion d’actifs, les banques sont quant à elles généralement peu avancées et relaient le sujet aux assureurs. Ces derniers sont conscients de l’importance de la prévention pour leur activité initialement orientée résilience. Mais leurs actions en faveur de la prévention, à ce stade, relèvent plus souvent de la sensibilisation aux assurés, que de l’implication dans la prise en charge du coût des actions nécessaires. Sur le sujet de la résilience, le cadrage public est nécessaire pour garantir l’objectif solidaire du régime Cat Nat et l’implication des assureurs.
Plusieurs tendances pourraient expliquer les difficultés d’émergence du sujet chez les acteurs financiers
Une grande partie des banques françaises et certains gestionnaires d’actifs n’ont pas encore exploré en profondeur les pistes d’opportunités commerciales de l’adaptation dans l’immobilier. Ils n’y voient pas spontanément leur intérêt. A première vue, l’adaptation est un surcoût difficile à compenser par un bénéfice en termes de valorisation des biens, et l’efficacité des solutions d’adaptation est encore peu comprise. Par ailleurs, les acteurs immobiliers eux-mêmes n’ont pas encore fait émerger une demande de services financiers en lien avec l’adaptation, butant en amont sur l’établissement d’une stratégie d’adaptation. Il y a aussi un coût d’entrée pour les banques voire les gestionnaires d’actifs, généralement mal équipés pour épauler les acteurs immobiliers vers l’émergence de leur stratégie d’adaptation et, in fine, d’une potentielle demande en services financiers. Ainsi, l’adaptation est souvent perdante dans l’arbitrage des priorités de l’institution financière, au profit par exemple de la transition bas carbone, sur laquelle les efforts sont déjà lancés.
Plus spécifiquement dans le cas des banques, leur approche du climat a privilégié l’angle de la gestion des risques financiers, notamment sur l’immobilier. Cela ne les a pas encore motivées à se mobiliser pour l’adaptation. On peut l’expliquer par un focus initial là encore sur les enjeux de transition net zéro, puis une difficulté à l’analyse prospective des risques physiques, et à la démonstration de leur impact significatif sur les banques. Par ailleurs, même si l’on prouve que le risque physique de l’immobilier peut se propager à la banque, il reste compliqué d’évaluer, à ce stade, l’intérêt des mesures d’adaptation en termes de diminution du risque financier de la banque. Enfin, le financement de l’adaptation implique aussi pour la banque de s’exposer au risque physique de l’acteur, le temps qu’il s’adapte effectivement.
Côté sociétés d’assurance et prévention, certains acteurs volontaires ayant développé une offre de prévention constatent une absence d’intérêt de leurs clients. On recense également des difficultés de mobilisation des assureurs du fait de considérations économiques sur la prévention. Les assureurs sont historiquement peu équipés pour favoriser la prévention. Par ailleurs, l’horizon court du contrat d’assurance dommage peut limiter la rentabilité, pour l’assureur, de porter les coûts de la prévention de leurs assurés. Ces coûts peuvent aussi dépasser la rémunération de l’assureur, ou sa capacité à inciter efficacement l’assuré par une diminution de sa prime.
Le régime Cat Nat, reconnu nécessaire par tous, doit encore être ajusté pour éviter un effet déresponsabilisant parmi les acteurs de la chaine de prévention. Celui-ci a d’un côté pour vertu majeure de fournir une couverture élargie aux ménages et entreprises face aux catastrophe climatiques. Tout assuré paie le même taux de surprime quelle que soit son exposition au risque – et ses efforts de prévention. Cette perspective de couverture est renforcée in fine par la garantie illimitée que l’Etat apporte au régime. De l’autre côté, les assurés n’ont aucune incitation économique à l’effort de prévention, leur surprime restant inchangée. Les assureurs, impliqués dans le portage du risque, voient aussi leurs pertes écrêtées par le régime, ce qui ne les incite pas davantage à la prévention.
L’action publique est nécessaire pour stimuler l’adaptation de l’immobilier, en y embarquant les acteurs financiers progressivement
De nouvelles mesures, identifiées par la mission sur l’assurabilité des risques climatiques en France, pourraient être mises en œuvre. Par exemple mobiliser les assureurs dans un mécanisme sanctionnant les assurés les plus aisés qui se refusent à la prévention.
Ensuite, la mobilisation plus large des acteurs financiers devra être pensée comme complémentaire, mais ne pourra pas se substituer à d’autres évolutions portant directement sur l’environnement du secteur immobilier (ex. normes de construction). Par ailleurs, à mesure que les porteurs de projets immobiliers vont murir sur le profil économique des actions d’adaptation de leurs activités, cela devrait faire émerger des questions plus claires sur le rôle des assureurs, banques, gestionnaires d’actifs (ex. quels objets ont un business case qui pourrait permettre de les solliciter, y a-t-il besoin de développer des produits spécifiques ? etc.).
En parallèle de ces évolutions, il serait utile de continuer l’exploration des leviers à la main des acteurs financiers (esquissés sur la figure page 7), et les effets indésirables susceptibles d’apparaitre à mesure qu’ils s’approprieront l’enjeu (ex. via la gestion des risques financiers). Pour ce faire, il serait utile de mieux identifier les connexions entre activités immobilières et financières, et leurs logiques de fonctionnement en contexte réel.