Projet loi de finances 2025 forêt et bois : le climat comme boussole pour prioriser sous contrainte budgétaire
Depuis plusieurs semaines, tous les financements publics sont passés à la loupe et discutés dans le cadre du Projet de Loi de Finances 2025. C’est notamment le cas des financements pour la forêt au titre de la planification écologique, déployés au sein du Programme 149, malheureusement amenés à baisser de près de 50 %. Si tout est aujourd’hui en suspens avec le vote de la motion de censure du gouvernement par l’Assemblée Nationale, ces débats budgétaires devront se poursuivre dans les prochains mois, malgré les nombreuses incertitudes. Or, dans un contexte de contrainte budgétaire amené à se poursuivre, il restera indispensable de prioriser et d’orienter ces financements vers les actions les plus pertinentes pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Des financements en augmentation depuis 2020, indispensables dans un contexte de changement climatique
Ces dernières années ont vu un effort sans précédent pour financer la forêt et le bois, depuis France Relance puis France 2030 : 150M€ affectés au renouvellement forestier en 2021 suite à la crise sanitaire des scolytes qui a touché massivement les forêts de l’Est de la France en 2018-2019, puis de nouveau 150M€ en 2023 pour poursuivre le renouvellement de nos forêts. Au-delà du renouvellement, c’est la filière forêt-bois dans son ensemble qui s’est vu attribuer un total de 500M€ pour son développement et sa modernisation via France 2030. Dans un contexte de changement climatique déjà important, et qui a vocation à s’aggraver, ces financements publics sont indispensables pour gérer les crises et s’assurer que nos forêts et les filières associées soient résilientes et adaptées.
Renouvellement forestier : un impact climatique partiellement discutable
Néanmoins, toutes les actions financées par le plan de renouvellement forestier n’ont pas le même impact en termes d’atténuation du changement climatique. Le renouvellement des peuplements sinistrés est une stratégie sans regrets, puisque ces arbres sont voués à mourir et souvent déjà en train de déstocker du carbone. Les forêts d’une région comme Grand-Est ont ainsi basculé de puits à source de carbone en très peu de temps en raison des dépérissements de dizaines de milliers d’hectares d’épicéas attaqués par le scolyte. Au niveau européen, c’est également le cas de l’Allemagne qui ne peut plus compter sur ses forêts en tant que puits. Reboiser ces forêts clairement identifiées comme dépérissantes par des essences adaptées au climat futur est bénéfique à relativement court terme, soit avant 2050.
En revanche, les financements publics ciblent aussi le renouvellement de « peuplements pauvres », qui présentent souvent une croissance faible et une piètre qualité de production de bois d’œuvre. Cependant, ces peuplements restent le plus souvent en croissance et ne sont pas diagnostiqués à risque vis-à-vis du changement climatique. Ainsi, la coupe et le reboisement revient à déstocker du carbone, et également à se priver de flux de séquestration pendant un certain nombre d’années. Si le bilan carbone global dépend de multiples paramètres (type et âge du peuplement coupé, destination du bois, peuplement replanté…), il est rare d’avoir un bénéfice carbone positif avant 2050. Souvent cette action ne devient bénéfique qu’à la fin du siècle, bien après les échéances fixées comme déterminantes pour atteindre la neutralité climatique et éviter les “points de bascule”. Si ces actions peuvent avoir d’autres bénéfices, notamment économiques, elles ne peuvent pas réellement être mises en œuvre au nom de la planification écologique. Or, les surfaces concernées représentaient 25% à 30% des surfaces renouvelées de France Relance, soit entre 35M€ et 45M€. Pour référence, cela représenterait 20 % à 25 % des sommes totales débattues pour toute la filière (195M€). Dans une logique de priorisation des dépenses, ces sommes pourraient être redéployées vers d’autres actions présentant un meilleur impact en termes d’atténuation comme d’adaptation au changement climatique.
D’autres actions à prioriser pour assurer l’adaptation de la forêt au changement climatique
Ce ne sont en effet pas les besoins qui manquent. De nombreuses actions « sans regrets » ont encore besoin de soutien dans la durée, notamment :
- Les peuplements sinistrés : depuis 2019, les aléas climatiques ne se sont malheureusement pas arrêtés et les dépérissements continuent, des incendies ont ravagé le sud-ouest en 2022… Or, le premier plan de relance n’a permis de reboiser qu’une petite fraction (12,5 %) des 110 000ha touchées par la crise des scolytes. Il reste ainsi des besoins non satisfaits pour les peuplements déjà impactés par le changement climatique qu’il convient de prioriser, en s’assurant par ailleurs de bien préserver le carbone des sols.
- La filière graines et plants est clé pour assurer la qualité et l’adaptation des reboisements effectués. Pour garantir la résilience face au changement climatique, cette filière doit être accompagnée pour être en mesure d’augmenter et de diversifier sa production de nouvelles essences et provenances mieux adaptées.
- L’aval de la filière, qui doit continuer à se moderniser pour répondre aux enjeux climatiques : pour améliorer la valorisation matière du bois d’une part (valorisation du feuillu, bois d’ingénierie, panneaux, isolants notamment), mais également pour s’adapter aux impacts du changement climatique sur la forêt, qui nécessiteront une plus grande flexibilité sur les volumes et caractéristiques des bois transformés : les essences, diamètres et quantités des bois issus des crises étant non pilotables par nature.
- Au-delà des dépenses budgétaires du programme 149, le maintien voire le renforcement des effectifs dans les établissements publics en lien avec la forêt : de nombreuses autres actions, nécessitant souvent des budgets moins importants, sont pourtant cruciales pour assurer l’adaptation de la forêt au changement climatique. C’est notamment le cas des réseaux d’observation, de veille sanitaire et de gestion de crise, de l’expérimentation ou encore de l’interface recherche-gestion pour le transfert de connaissances. Ce dernier point est particulièrement important pour poursuivre le développement des outils de diagnostic sylvo-climatiques par exemple, qui permettent de s’assurer que les essences choisies seront bien adaptées au climat de demain. Or, bon nombre de ces actions nécessite avant tout de l’expertise et de l’animation, et donc des dépenses de personnel, souvent portées par des établissements publics : ONF, CNPF, IGN, DSF, GIP ECOFOR… Or, la baisse constatée depuis 10 ans des moyens des opérateurs publics contribuant à l’adaptation semble aujourd’hui en contradiction avec l’évolution de leurs missions. Cela apparaît comme l’un des principaux facteurs limitants pour une action ambitieuse d’adaptation de la forêt au changement climatique.
Ainsi, dans un contexte de contrainte budgétaire, il convient de regarder l’arbitrage entre les différentes lignes, mais également de s’assurer de l’impact climatique réel des financements au sein de chaque ligne pour prioriser plus efficacement. Mieux affecter les financements dans le futur PLF (Projet loi de finances) permettrait à la fois de limiter les actions négatives pour le climat, et d’assurer le financement d’actions clés qui sont aujourd’hui menacées, notamment pour l’adaptation au changement climatique. Même si bien sûr, une baisse de 50 % des crédits de paiements reste difficilement conciliable avec une action ambitieuse pour adapter nos forêts et nos filières au changement climatique.