La nouvelle stratégie de financement de la transition devra clore le débat inachevé de 2023
L’année 2023 est à marquer d’une pierre blanche pour le financement de la transition climat en France. Le rapport de Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz a créé un consensus sur les besoins d’investissement climat et contribué à une forte augmentation des crédits de l’État pour accompagner tous les acteurs dans la transition. Mais que se passera-t-il l’année prochaine ? Et la suivante ? La planification impose de se projeter dans la durée et, si un autre consensus émerge sur le besoin supplémentaire de dépenses publiques, il n’y en a pas encore sur la part des collectivités et sur les nouvelles ressources budgétaires à mobiliser pour boucler l’équation. Heureusement, nous aurons dès 2024 un cadre nouveau pour en débattre, un cadre réclamé par de nombreux acteurs : la stratégie pluriannuelle de financement de la transition. I4CE décrypte pour vous les attentes et les conditions pour que cette stratégie soit réellement utile.
En 2023, un débat inachevé
Le rapport sur les incidences économiques de la transition climat a changé la donne. Tout le monde s’accorde désormais sur l’ordre de grandeur des investissements climat que les acteurs publics et privés vont devoir faire, en plus, d’ici 2030 : 100 milliards d’investissements supplémentaires en faveur du climat, 66 si on retranche les investissements que la transition pourrait économiser dans l’achat de véhicules thermiques par exemple. Deux études récentes – une de la Direction générale du Trésor et l’édition 2023 du Panorama des financements climat d’I4CE – confirment ces ordres de grandeur.
Ce consensus a conduit à une augmentation des dépenses publiques de l’État pour le climat dans le projet de budget 2024, que ce soit pour permettre à l’État d’investir plus lui-même ou aider les collectivités, les entreprises et les ménages à investir. Mais tout le monde s’accorde aussi sur le fait que cela ne suffira pas à régler l’équation du financement de la transition. Le rapport de Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz a posé sur la table une estimation de la hausse nécessaire des dépenses publiques : entre 25 et 34 milliards d’euros. Cette estimation n’est pas issue d’un travail « à la louche », consistant à répartir les 66 milliards d’investissement net à égalité entre le public et le privé selon une règle d’or obscure. Elle est issue d’une analyse granulaire, secteur par secteur car, à l’évidence, le modèle financement et le rôle des dépenses publiques pour développer des RER métropolitains ne sont pas les mêmes que pour aider les ménages à acquérir des véhicules bas-carbone et les constructeurs à les fabriquer.
Cette estimation est aujourd’hui la base la plus consensuelle à partir de laquelle anticiper les besoins de dépenses publiques d’ici à 2030. Mais elle doit encore être travaillée, ne serait-ce que parce qu’elle cache deux éléphants dans la pièce. Le premier est la répartition des dépenses publiques entre l’État et les collectivités. Le second : où trouver l’argent public pour couvrir la hausse de ces dépenses ? Il n’y a à l’évidence pas de réponse consensuelle à cette question comme l’ont montré les réactions à la proposition de Pisani Ferry et Mahfouz d’un prélèvement exceptionnel sur le capital. Et si le gouvernement a pu compter cette année sur la fin du bouclier tarifaire pour boucler l’équation du financement de la transition, c’est une solution qui ne fonctionne qu’une fois. Derrière les consensus se cachent encore des dissensus, et le succès de la planification écologique du gouvernement dépendra de sa capacité à les réduire et à dégager des compromis.
À la demande générale, le gouvernement va mettre en débat sa stratégie de financement de la transition
La bonne nouvelle est que le gouvernement va s’attaquer à ces sujets qui fâchent dès 2024. Il s’est mis d’accord avec les parlementaires, ce qui n’est pas si courant que cela, sur une proposition portée aussi par des think tanks, des entreprises ou encore des ONG : la France va se doter dès l’année prochaine d’une stratégie pluriannuelle de financement de la transition qui sera débattue au Parlement. Il faut voir cette SPFTE non pas comme un acronyme de plus mais comme le volet financier de la planification écologique. Ou, pour utiliser d’autres acronymes, comme l’annexe financière de la SNBC3 pour l’atténuation et du PNACC3 pour l’adaptation (Plan national d’adaptation au changement climatique).
Si tout le monde appelait à une forme ou une autre de prévisibilité pluriannuelle des financements pour la transition, des Républicains à la France Insoumise, de la Fédération nationale des travaux publics aux ONG, c’est que chacun a bien compris l’utilité qu’elle peut avoir. Elle permet à l’exécutif de piloter le volet financier de la planification et aux parlementaires de débattre des grands arbitrages et de contrôler l’action du gouvernement. Elle permet au monde économique d’avoir de la visibilité sur ce qu’on attend de lui et sur les aides que l’État lui apportera s’il joue le jeu. Elle permet aux collectivités, enfin, d’anticiper les investissements qu’elles vont devoir réaliser et de discuter avec l’État de leurs marges budgétaires pour les réaliser.
Mais si elle cristallise beaucoup d’attentes différentes, cette stratégie de financement n’est à l’heure actuelle qu’un principe. Une coquille vide. Un objet politique indéfini, fruit d’un compromis pour éviter d’élaborer tout de suite une vraie loi de programmation des financements pour la transition.
Pour être utile, la stratégie doit faire sortir les éléphants de la pièce
Disons-le autrement : si on s’y prend mal, collectivement, cette stratégie ne sera qu’un tigre de papier. Elle ne résoudra pas les problèmes qu’elle doit régler. Pour être utile, elle devra d’abord aborder le défi du financement avec un spectre large. Large… mais pas trop. Il est ainsi nécessaire de couvrir tous les financements des acteurs de l’économie réelle, et donc les entreprises et les ménages en sus de l’État, de ses opérateurs et des collectivités locales. Les pouvoirs publics ne paieront pas tout en effet et les acteurs privés vont devoir s’engager. La stratégie peut aussi s’intéresser à ceux qui prêtent aux acteurs de l’économie réelle : les banques qu’elles soient privées ou publiques et plus largement les institutions financières. Elle le peut mais des initiatives existent déjà pour mobiliser et débattre du rôle des acteurs financiers comme le Comité de place du financement de la transition écologique, et la future stratégie ne doit pas se défausser sur ces acteurs. La future stratégie doit avoir un spectre large sans pour autant essayer de cacher sous le tapis les éléphants qui sont déjà dans la pièce. Elle est doit permettre de dégager des compromis si ce n’est des consensus sur les options pour boucler le budget de l’État d’une part, et ceux des collectivités locales d’autre part. Si tel n’était pas le cas, les questions qui fâchent reviendraient de toute façon en boomerang lors du débat sur la stratégie au Parlement et pour chacun des projets de loi de finances à venir.
Cette stratégie est aussi l’occasion de renforcer le consensus émergeant sur le besoin de dépenses publiques estimé par Pisani Ferry et Mahfouz. Entre 25 et 34 milliards d’euros, la fourchette est large et mérite d’être débattue. Elle mérite de l’être avec la même approche, granulaire, pour ne pas mélanger des secteurs qui n’ont rien à voir comme la rénovation des bâtiments publics ou celle des logements privés. Elle mérite de l’être pour améliorer l’efficacité et l’efficience des aides publiques, mais sans invoquer un « effet levier » magique que l’on pourrait actionner sur toute l’économie pour réduire la part publique de la transition. Elle mérite de l’être en assumant qu’il n’y a pas de free lunch. Moins d’investissement public pour la transition, moins de subventions publiques, c’est nécessairement plus de dépenses pour les ménages et les entreprises, et plus de réglementation ou de fiscalité pour les y inciter.
Au final, et dans l’idéal, la stratégie de financement devrait pouvoir se résumer en un tableau simple comme celui-ci-dessous, année après année et jusqu’en 2030 :
Une nouvelle stratégie pour dépasser les conflits de bureau
Pour être utile, la stratégie devra permettre d’élargir le cercle de discussion au-delà de la technostructure. Dégager des compromis entre les administrations – celles de Bercy, des ministères de l’Écologie et de l’énergie ou encore de l’Agriculture – sous la supervision du Secrétariat général à la planification écologique est certes important mais, pour y arriver, il faudra dépasser les conflits de bureau, les réflexes et tabous des uns et des autres. Il faudra prendre de la hauteur pour dégager les nouveaux consensus politiques qui s’imposent ou, du moins, les grands éléments d’arbitrage.
C’est un objet politique et l’implication des Ministres est nécessaire, comme celle de parlementaires pour préparer le débat au Parlement et les lois de finances qui déclineront cette stratégie. Il faudra aussi veiller à impliquer les acteurs qui vont faire concrètement la transition. Ceux dont il faut mobiliser les capacités d’action et d’investissement : le monde économique et les collectivités. La contribution financière des uns et des autres doit être concertée et partagée.
En 2024, posons les jalons
Il y a évidemment encore plein d’autres points de vigilance pour que la future stratégie annuelle réponde aux attentes qu’elle suscite. Pensons à son horizon temporel : pour donner de la visibilité et anticiper les problèmes elle doit aller d’aujourd’hui à 2030, au minimum, et identifier les grands défis à plus long terme. Pensons aussi à sa date de publication : pour informer les projets de loi de finances successifs elle doit être publiée avant l’été, avant les lettres de cadrage budgétaire envoyés aux Ministères. Ou encore à son périmètre : force est de constater que nous comprenons mieux et débattons mieux du financement de la transition énergétique, bien moins du financement de la transition agricole, de l’adaptation, sans parler de l’économie circulaire et de la biodiversité.
Soyons réalistes néanmoins, la stratégie pluriannuelle de financement qui sera publiée en 2024 ne règlera pas tous les problèmes. Tant pis. Ce n’est pas grave tant que l’on est d’accord sur le fait qu’elle n’est pas un one-shot. C’est un document vivant autour duquel doit se structurer dans la durée le pilotage du plan de financement de la transition, et qui sera le témoin, année après année, des avancées de notre expertise collective, de l’évolution de nos préférences politiques, ou encore de la conjoncture économique. En tant qu’outil de planification elle sera le témoin de nos succès, de nos difficultés à mettre en œuvre la transition, et de notre capacité à y répondre.