PAC et certification carbone : ne réinventons pas la roue

11 juin 2020 - Billet d'analyse - Par : Thomas BONVILLAIN / Claudine FOUCHEROT

Dans sa nouvelle stratégie « De la ferme à la fourchette », la commission européenne a annoncé vouloir rémunérer le stockage carbone dans les sols agricoles, en précisant que cela impliquerait la création d’un cadre réglementaire pour la certification des absorptions de carbone sur la base d’une comptabilité carbone solide et transparente. Cette annonce est prometteuse selon Claudine Foucherot d’I4CE, Thomas Bonvillain d’I4CE, Etienne Lapierre de Terrasolis, Axel de Martene et Karl Zanclan de Planet A, Edouard Lanckriet et Morgane Henaff d’Agrosolutions et Philippe Delacote et Camille Aityoucef de l’Inrae. Pour ces partenaires du PEI CarbonThink, il faudra bâtir sur les cadres de certification déjà développés dans de nombreux pays européens, et veiller à bien articuler financements publics et financements privés.

 

Les instruments basés sur le principe de paiement sur résultat ont montré leur efficacité environnementale et, comme le montre une étude récente d’I4CE, ne sont pas si complexes que cela à mettre en place, ni particulièrement couteux.

 

Plusieurs pays européens se sont d’ores et déjà dotés de cadre de certification carbone domestiques, la France en tête avec le Label bas Carbone. Ces dispositifs s’appuient sur les travaux de la recherche scientifique et sont développés en concertation avec les acteurs des filières agricoles. Ils s’appuient par ailleurs tous sur les mêmes principes tels que l’additionnalité, la gestion du risque de non permanence du carbone stocké ou encore l’obligation de transparence sur le calcul des réductions d’émissions.

 

 

Il serait dommage de se priver de l’expertise déjà acquise par les États membres

Les cadres de certification existants peuvent utilement alimenter les réflexions européennes sur la création du cadre réglementaire de certification carbone, et l’on pourrait même envisager une reconnaissance européenne de ces cadres domestiques et une interopérabilité entre eux. Dans tous les cas, il serait dommage de se priver de l’expertise acquise par les États membres et de réinventer la roue.

 

Par ailleurs, il va falloir que l’Union européen clarifie comment elle compte articuler la rémunération des agriculteurs par des financements publics avec les financements privés qui existent d’ores et déjà. En effet, le secteur privé finance aujourd’hui des projets bas carbone certifiés dans le secteur agricole. Les entreprises finançant ces projets le font de façon volontaire, dans le but de compenser leurs émissions localement ou de contribuer à la décarbonation de leur chaine de valeur. Ces financements privés sont nécessaires mais pas suffisants : même si le prix de la tonne de carbone est plus élevé en Europe qu’à l’international, ils ne permettent ni de couvrir l’ensemble des coûts d’un projet ni de financer l’ensemble des projets qui en ont pourtant besoin. Du côté des pouvoirs publics, la Commission européenne a largement communiqué sur sa volonté d’orienter la prochaine PAC vers plus d’obligation de résultat et les États membres préparent actuellement leurs plans stratégiques nationaux définissants les interventions et modalités de mise en œuvre de la future PAC, et des instruments visant à rémunérer le carbone stocké pourraient y faire leur entrée.

 

Deux options sont alors possibles. La première serait de créer un nouveau dispositif  estampillé « PAC », à l’instar des MAEC ou des paiements verts. La deuxième serait de s’appuyer sur les cadres de certification carbone domestiques existants ou sur le futur cadre réglementaire européen pour flécher des aides publiques, à l’instar des aides à la conversion au bio qui s’appuient sur le cahier des charges de l’Agriculture Biologique externe à la PAC. Un des gros avantages de la seconde option est qu’elle faciliterait les co-financements privés/publics et maximiserait l’impact à dépense publique constante. La diversification des sources de financements permettrait d’engager le passage à l’échelle de cette transition agroécologique, mais pour cela il faut qu’elles tirent dans le même sens, qu’elles soient complémentaires et non exclusives.

 

 

Il faut éviter que les agriculteurs aient à choisir entre financements privés et financements publics

Il faut ainsi absolument éviter une situation où concrètement, sur le terrain, les agriculteurs auront à choisir entre des financements privés ou des financements publics. C’est pourtant un risque réel si les synergies entre les outils développés dans le cadre de la future PAC et les cadres de certification carbone domestiques ou européen ne sont pas pensées en amont. Pourquoi des entreprises financeraient des projets d’ores et déjà intégralement financés par la PAC ? Comment justifier de l’additionnalité des projets, nécessaire à l’obtention d’une certification carbone, s’ils sont déjà suffisamment aidés par ailleurs ? En effet, un des principes clé des cadres de certification carbone est de certifier les projets qui ont réellement besoin d’un financement supplémentaire pour se faire. L’objectif derrière est de limiter les effets d’aubaine et d’assurer l’efficacité du financement carbone. Cela ne veut pas dire que la certification carbone soit nécessairement incompatible avec des subventions. Mais si ces dernières sont jugées suffisantes, alors les projets ne sont pas éligibles.

 

Pour éviter de se retrouver dans une telle situation demain, il est nécessaire de réfléchir dès maintenant à la façon d’assurer une complémentarité entre de futures aides PAC et les financements des entreprises. Est-ce que la PAC peut s’appuyer sur les cadres existants et reconnus plutôt que d’en créer un nouveau possiblement concurrentiel ? Et dans ce cas, est-ce que la PAC devrait couvrir les coûts de transaction et de formation des projets certifiés ? Est-ce qu’une répartition des coût totaux à 50-50 par exemple entre aides PAC et financements privés serait plus judicieux ? Ou encore, est-ce que la PAC pourrait permettre de sécuriser un revenu carbone minimum pour les agriculteurs ou plus généralement apporter une couverture du risque pris par les agriculteurs qui s’engagent dans la mise en œuvre de projets bas carbone ?

 

La mise en place d’un tel dispositif n’est pas simple et pose un certain nombre de questions technico-juridique. Mais il serait dommage de ne pas se les poser et de passer à côté de l’opportunité de coupler financements privés et publics pour accélérer la décarbonation des filières agricoles.

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