Les pistes de la mission Sichel pour des rénovations énergétiques ambitieuses
Que retenir de la « Mission Sichel » et de ses propositions pour aider les ménages à rénover les « passoires énergétiques » ? Hadrien Hainaut d’I4CE revient dans ce billet sur les propositions les plus importantes à ses yeux : un accompagnement renforcé, des aides publiques pour les rénovations les plus performantes et des prêts adaptés. Pour lui, ces mesures prises ensemble pourraient déboucher sur un véritable programme de rénovation. A condition d’y consacrer des moyens suffisants toutefois, en particulier pour l’accompagnement dont le budget national ne dépasse pas 100M€/an aujourd’hui. Ces propositions peuvent d’ores et déjà faire avancer le débat sur la rénovation qui a lieu en ce moment à l’Assemblée Nationale.
L’Assemblée Nationale examine en ce moment le projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Au menu notamment : l’obligation de rénover les passoires énergétiques, ces presque 5 millions de logements souvent anciens, gros consommateurs d’énergie, et parfois très émetteurs de gaz à effet de serre. Cette obligation génère des inquiétudes, car les travaux de rénovation sont souvent complexes et coûteux. Elle n’est donc envisageable que si l’on aide davantage les ménages à rénover leur logement. Une mission confiée par le gouvernement à Olivier Sichel a justement pris ce sujet à bras le corps, et vient de rendre ses propositions.
Un accompagnement renforcé, à la fois numérique et humain
Rénover efficacement un logement ancien et énergivore n’est pas simple et les propriétaires ignorent souvent quelles opérations réaliser, par quels artisans, à quel coût et moyennant quelles aides publiques. Pour remédier à cela, la mission recommande d’offrir gratuitement des services d’accompagnement aux propriétaires. Un accompagnateur, doté d’un outil numérique, les assisterait à chaque étape de leur rénovation : réaliser un audit thermique, concevoir le plan de travaux, recruter les artisans, solliciter les aides publiques et les financements bancaires. Cette assistance irait, pour les rénovations les plus ambitieuses, jusqu’à endosser – avec l’accord des ménages, cela va de soi – le rôle de maitre d’œuvre ou de courtier auprès des banques. Quant à la plateforme numérique, elle permettrait de passer des contrats en un clic et d’opérer des transactions financières depuis un compte autonome. Cette dernière fonctionnalité n’est pas qu’un détail, car en étant ainsi assurés que les sommes versées iront bien aux travaux, les organismes publics pourront verser des aides par anticipation, là où les ménages doivent encore bien souvent avancer eux-mêmes les fonds.
L’accompagnement est certainement une bonne chose, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés pour rendre l’outil numérique interopérable avec les plateformes de l’Agence nationale de l’habitat, des collectivités ou encore celles ouvrant droit aux primes des Certificats d’économies d’énergie. Mais au-delà de la plateforme, c’est la qualité du conseiller qui est véritablement cruciale, comme l’illustre d’ailleurs bien cette courte vidéo éditée par la mission. Et ce d’autant plus que l’offre vise prioritairement les ménages modestes ou les personnes âgées pour qui l’interlocuteur humain est fondamental. Les organismes qui délivrent aujourd’hui des services d’accompagnement à petite échelle savent que le métier de conseiller exige beaucoup de qualités. Investir le « chez soi » des particuliers avec un projet de rénovation globale nécessite de l’écoute, de la pédagogie, des encouragements – en plus de l’expertise technique et financière. Les profils capables de tout cela sont rares, il faut généralement les recruter parmi les « vétérans » du bâtiment ou du conseil bancaire.
La mission répond à ces défis par un chiffre sur le besoin de financement des plateformes d’accompagnement : 370 millions d’euros par an. C’est une fourchette basse, car en partant du coût des prestations réalisées aujourd’hui par les accompagnateurs territoriaux, de l’ordre de 2000€ par dossier en maison individuelle, et du nombre de logements à rénover chaque année, de l’ordre de 500 000, une enveloppe nationale de 500 à 600 millions d’euros par an s’approcherait davantage des besoins. En comparaison, le budget national ne dépasse pas 100M€/an aujourd’hui. Puisque la mission recommande de faire de cet accompagnement une condition pour percevoir les aides publiques au-delà d’un certain montant de travaux, il faudra s’assurer que les moyens sont suffisants pour traiter tous les dossiers. En effet, un afflux de demandes vers des services peu préparés découragerait beaucoup de ménages à entreprendre des travaux ambitieux.
Des aides publiques favorables aux rénovations les plus performantes
Pour que l’accompagnement en vaille la peine, il faut que les ménages optent pour des travaux ambitieux. En matière de rénovation, le pays s’est donné l’objectif d’atteindre un parc de logements « basse consommation » (BBC) en trente ans. D’après une étude d’Enertech et Dorémi pour le compte de l’ADEME, cela implique de rechercher, pour chaque logement que l’on rénove, le niveau de performance énergétique le plus élevé possible et de réaliser de préférence les travaux sur l’isolation et le chauffage en une seule fois. En réalité, selon le Haut Conseil pour le Climat, moins d’un 1% logements rénovés chaque année atteignent ce niveau de performance.
La mission Sichel prévoit que l’accompagnateur propose aux ménages au moins une option de rénovation globale « BBC », ce qui pourrait déjà en encourager davantage à faire le pas. Mais les aides publiques actuelles ne couvrent généralement qu’une partie des coûts de ces travaux. De fait, le reste à charge d’une rénovation ambitieuse est souvent dissuasif en comparaison des opérations ponctuelles. Pour que la rénovation globale et performante s’impose, la mission propose donc de réduire les aides « geste par geste », tout en récompensant davantage la performance énergétique et les émissions évitées après travaux. Le reste à charge serait proche de zéro pour les ménages modestes et irait croissant avec les revenus des propriétaires.
Réserver les aides sur les rénovations les plus ambitieuses est un bon moyen d’encourager les ménages à entreprendre des travaux réellement efficaces. Mais la mission détermine que pour prendre en charge de l’ordre de 500 000 logements par an avec ce barème, le budget des aides publiques devra être porté à 9 milliards d’euros chaque année. C’est 50% de plus qu’actuellement. Une hausse importante qui doit être anticipée dès maintenant par les pouvoirs publics.
Des prêts adaptés pour lisser le reste à charge
Après soustraction des aides publiques, le reste à charge d’une rénovation globale serait de l’ordre de 20 000 à 50 000 euros pour les ménages de la classe moyenne et les plus aisés. Il est important qu’ils puissent emprunter cette somme, de sorte que les mensualités du prêt ne dépassent pas les économies qu’ils feront sur leur facture de chauffage. Les prêts classiques, dits « prêts travaux », portent le plus souvent sur des durées trop courtes et à des taux trop élevés pour permettre cet équilibre en trésorerie. L’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), initialement conçu pour financer des rénovations ambitieuses, est peu sollicité. D’une part, il est plafonné trop bas, à hauteur de 30 000 euros. D’autre part, des travaux récents menés par le CIRED suggèrent que les banques renonceraient à émettre ce prêt car il est moins rémunérateur que des prêts travaux ou des prêts à la consommation classiques.
La mission propose de rapprocher les termes de l’éco-PTZ de ceux pratiqués avec succès par la banque publique allemande (la KfW), en relevant le plafond à 50 000 euros. Elle prévoit également que l’accompagnateur sollicite plusieurs banques (en commençant par celle qui a la faveur du ménage) pour accroitre les chances d’obtenir un éco-PTZ. Elle envisage en outre que si les banques commerciales ne sont pas en mesure de distribuer les prêts, une banque publique, par exemple la Banque Postale adossée à la Caisse des Dépôts, pourrait s’en charger en dernier recours, tandis que quelques « Sociétés de tiers financement » établies par les collectivités pourraient continuer de le proposer à titre expérimental. En ce qui concerne les logements occupés par les personnes âgés, la mission propose de développer le Prêt Avance Mutation (PAM), conçu dans la Loi de transition énergétique de 2015 mais qui n’a pas été déployé à ce jour. Ce prêt est remboursé lorsque le logement est vendu ou transmis aux héritiers, ces derniers pouvant le convertir en éco-PTZ s’ils souhaitent occuper eux-mêmes le logement.
Prises ensemble, ces mesures pourraient lever des obstacles majeurs à la rénovation globale à grande échelle, surtout si elles vont de pair avec un volet dédié à l’animation et à la formation des artisans. Espérons que ces pistes feront déjà avancer le débat actuel sur la rénovation, et qu’à terme les pouvoirs publics pourront étendre ces offres intéressantes à tous les logements et pas seulement aux plus énergivores.