Infrastructures de transport : le chantier commence
La Première Ministre a annoncé un nouvel effort d’investissement dans les infrastructures de transport pour développer les alternatives à la route et favoriser la mobilité du quotidien. Avec notamment 100 milliards pour le ferroviaire d’ici 2040. Pour Aurore Colin d’I4CE, cette annonce n’est que le début d’un grand chantier. Ou plutôt de trois chantiers : préciser le montant d’investissement, clarifier qui financera quoi et garantir que les infrastructures seront adaptées au climat de demain. Des chantiers colossaux et qui doivent pourtant aboutir d’ici quelques mois.
Petit rappel du contexte. Comme prévu par la Loi d’orientations des mobilités (LOM) adoptée en 2019, l’État va bientôt devoir mettre à jour la programmation de ses investissements dans les infrastructures de transport pour les cinq prochaines années. Il s’agit notamment des infrastructures ferroviaires, des transports en commun urbains ou encore du réseau routier. Cette programmation est cruciale pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre sachant que les transports restent le premier secteur émetteur en France et que le report modal, qui nécessite des infrastructures performantes, est un levier important dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) pour décarboner les transports. Pour l’aider dans cette tâche laborieuse, l’État peut s’appuyer sur les travaux du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI), dont le dernier rapport a été publié il y a quelques jours.
Un signal positif : la priorité donnée aux infrastructures du report modal
Lors de la remise de ce rapport du COI, la Première Ministre a réaffirmé l’intention du Gouvernement d’investir dans les infrastructures de report modal, pour donner des alternatives à la voiture dans les déplacements du quotidien ou de longue distance. Le Gouvernement va ainsi élaborer sa feuille de route pour les infrastructures à partir du scénario de « planification écologique » proposé par le COI. C’est une bonne nouvelle puisque ce scénario est présenté par le COI comme le « plus performant » pour répondre aux objectifs climatiques et au besoin de report modal. Il implique un effort d’investissement national plus important à court et moyen terme.
La France va-t-elle rattraper son retard d’investissement dans les infrastructures de transport ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Car le chantier ne fait que commencer. Ou plutôt “les” chantiers ne font que commencer pour le gouvernement. Nous en identifions 3 principaux.
Préciser le montant d’investissement dans les infrastructures
La Première Ministre a profité de la remise du rapport du COI pour annoncer vouloir programmer 100 milliards d’euros d’investissements pour le ferroviaire d’ici 2040. Répartie équitablement sur les dix-sept années qui nous séparent de 2040, l’enveloppe correspond à près de 6 milliards d’euros par an. Pour mesurer la portée de cette enveloppe, à première vue conséquente, il faudrait savoir si elle couvre l’ensemble des investissements à réaliser, ou si elle vient s’ajouter aux investissements historiques ou bien à ceux prévus dans le contrat de performance SNCF Réseau/État sur la période 2021-2030.
Ces précisions ne sont évidemment pas anodines. Si l’enveloppe correspond à l’ensemble des investissements ferroviaires, si elle ne s’ajoute pas au moins en partie à l’effort d’investissement actuel, elle se situe alors dans la continuité de ce qui a été fait au cours de la dernière décennie. SNCF Réseau a en effet investi en moyenne 5,7 milliards d’euros chaque année dans le réseau ferroviaire sur les dix dernières années. À l’heure actuelle, le gouvernement a seulement précisé que la régénération et la modernisation du réseau ferroviaire recevront 1,5 milliard supplémentaire par an d’ici la fin du quinquennat. Nous avons estimé dans la dernière édition du Panorama des financements climat que le besoin d’investissement dans les infrastructures ferroviaires pour atteindre les objectifs de la SNBC en vigueur s’élevait à 8 milliards d’euros par an. Mais il serait précieux de connaitre l’estimation qu’en a fait le COI pour son scénario de planification écologique.
Cette enveloppe de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire reste donc un objet bien flou à ce stade, qui devra être précisé par le gouvernement. En outre, et au-delà du ferroviaire, l’État aura à déterminer les investissements dédiés aux autres infrastructures de report modal, en particulier les transports en commun urbains, le réseau fluvial, et les aménagements cyclables.
Qui financera ces investissements ?
Planifier les investissements est une chose, décider qui les financera en est une autre. Aujourd’hui, le financement des infrastructures repose avant tout sur l’État (via l’AFITF – Agence de financement des infrastructures de transport de France, son agence dédiée) et sur les collectivités. Les gestionnaires d’infrastructures comme SNCF Réseau, les fonds Européens et quelques organismes privés y contribuent également, mais dans des proportions beaucoup plus modestes. Clarifier la répartition de l’effort de financement entre tous ces acteurs est un chantier énorme mais nécessaire pour avoir une programmation des investissements crédible. Il suppose de s’assurer que tous ces acteurs soient capables de contribuer au financement dans la durée.
Du côté de l’État, le COI conseille, dans son scénario de « planification écologique », d’augmenter les crédits de l’AFITF pour le financement des infrastructures de transport. Ils seraient portés à 5,2 milliards d’euros par an sur les cinq prochaines années, soit 2 milliards de plus que le niveau atteint en 2022. Mais face à cette montée en charge, les ressources actuelles de l’AFITF ne suffisent pas, et pourraient même diminuer. Une moitié de son budget provient de la taxation des carburants routiers (TICPE – Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), or cette recette fiscale est amenée à diminuer en raison de la baisse prévue du nombre de véhicules thermiques en circulation. Le gouvernement a bien évoqué une mise à contribution du secteur aérien et des sociétés d’autoroutes pour financer les infrastructures, mais sans en préciser les modalités. Il reste encore du chemin pour concrétiser le plan de financement des infrastructures de transports.
Les collectivités locales, en tant qu’autorités organisatrices de la mobilité, sont aussi un contributeur important au financement des infrastructures de report modal, à la fois en investissement et en fonctionnement. Historiquement, elles financent leurs dépenses dans les transports durables en grande partie grâce aux recettes tarifaires payés par les usagers, au versement mobilité payé par les employeurs privés et publics et, pour les Régions, à une fraction de la TICPE. Une partie de leur financement provient également de leur budget général. Renforcer la part des collectivités dans le financement des infrastructures nécessite ainsi de s’assurer que certaines ressources historiques augmentent également, ou d’imaginer de nouveaux dispositifs de financement, comme la récupération d’une part des plus-values immobilières liées aux opérations de transports. Cela nécessite aussi d’assurer que les collectivités soient en mesure de dégager des marges sur leur budget général malgré le contexte de contrainte et d’incertitude budgétaires qu’elles traversent.
Prendre en compte l’adaptation au changement climatique
Troisième chantier à entamer aussi rapidement que possible : la résilience des infrastructures de transport aux effets du changement climatique. Alors que le ministre Christophe Béchu veut préparer la France à un scénario + 4°C, il nous paraît indispensable d’assurer que les milliards d’euros investis dans les infrastructures seront bien adaptés aux futures vagues de chaleur, inondations ou autres événements climatiques. Prendre en compte les possibles évolutions du climat dans ces investissements est une condition de premier plan pour s’assurer de l’utilisation efficace de cet argent public.
La résilience des infrastructures de transport passe avant tout par une garantie de leur bon état de fonctionnement. Cela implique de prévoir les investissements pour régénérer et moderniser le réseau existant. Sur ce point, les annonces pour le réseau ferroviaire vont dans le bon sens. Mais adapter les infrastructures de transport, dont la durée de vie est particulièrement longue, nécessite aussi de mieux connaître et évaluer les vulnérabilités des réseaux. Il faut également profiter des opérations de modernisation pour accroître la robustesse du réseau : intégrer l’adaptation dès la conception de ces opérations ne représente le plus souvent qu’un surcoût limité et permettra de réduire les dépenses publiques « curatives » et les pertes d’exploitation en cas d’intempéries.
Ne pas poser la question du climat futur dans les investissements dédiés aux infrastructures, c’est prendre le risque de devoir investir à nouveau bien plus tôt que prévu pour corriger les choses. Nous ne pouvons-nous permettre d’investir deux fois.
Les chantiers à mener sont nombreux et l’objectif affiché est d’aboutir d’ici l’été, en amont du PLF 2024, à une programmation des investissements dans les infrastructures de transport accompagnée de solutions de financements. Dans le même temps, les négociations entre les élus locaux et l’État commencent ce mois-ci, pour faire aboutir le volet mobilité des Contrats de Plan État Régions. Un calendrier aussi vaste que déterminant pour le climat.