La finance à la COP 26 : intéressons-nous à ce qui n’est pas sexy
Des engagements du secteur financier sont attendus à la COP26, et les attentes sont élevées. Mais le sont-elles vraiment ? Pas suffisamment selon Anuschka Hilke d’I4CE, pour qui la communauté financière doit aller au-delà de la réduction de son exposition aux risques liés au climat. Ce qui implique des engagements et des annonces beaucoup moins « sexy », par exemple sur la prise en compte du climat dans toutes les procédures internes. A quoi faut-il faire attention pour décrypter les engagements de la finance à la COP ? Éléments de réponse dans ce billet.
L’agenda du secteur financier à la COP26 reste marqué par le reporting et la gestion des risques
Les attentes à l’égard du secteur financier sont d’autant plus élevées pour la COP26 que Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et réputé pour avoir attiré l’attention des banques centrales sur les questions climatiques, a été nommé envoyé spécial des Nations unies pour l’action climatique et la finance, et conseiller du Premier ministre britannique Johnson en matière de finances climatiques pour la COP.
Tout en reconnaissant le rôle essentiel de la finance pour accélérer et faciliter la transition vers un avenir durable, M. Carney et d’autres acteurs clés restent principalement axés sur l’amélioration de la transparence des entreprises pour permettre une meilleure gestion des risques et des opportunités liés au climat par le secteur financier. Toutefois, cette théorie du changement comporte peut-être une faille importante, car des changements plus profonds au niveau du système financier sont nécessaires pour accélérer la transition.
Nous devons nous concentrer sur les stratégies permettant de soutenir une transition ordonnée
Prenons un peu de recul pour comprendre pourquoi il est nécessaire d’élargir l’approche traditionnelle par les risques. Contribuer à une transition ordonnée vers une économie sobre en carbone peut réduire les risques financiers liés au climat au niveau des individus et des systèmes. Mais l’inverse n’est pas forcément vrai : réduire les risques financiers ne conduira pas nécessairement à contribuer à une transition en douceur.
En effet, il ne fait guère de doute aujourd’hui qu’une transition ordonnée vers une économie à faible émission de carbone est celle qui réduit en même temps les risques de transition et les risques physiques pour les institutions financières au niveau systémique. Ainsi, les institutions financières qui contribuent à une telle transition devraient réduire les risques systémiques et potentiellement aussi les risques au niveau individuel.
Pourtant, l’inverse est beaucoup moins évident aujourd’hui, car le signal de risque lié au climat envoyé aux acteurs financiers est actuellement trop faible pour déclencher l’ampleur du changement à court terme nécessaire à une transition ordonnée, et ce pour deux raisons. La première est la faible visibilité du signal de risque. Développer des évaluations de risques convaincantes est une tâche difficile (manque de données, multitude de futurs à évaluer, analyse partielle, défis méthodologiques, vérification par des tiers, etc…) . Cela ne signifie pas que nous ne devons pas intégrer les informations dont nous disposons dans la mesure du possible, mais que nous avons besoin de plus de temps et d’efforts pour affiner notre approche avant que le signal de risque ne soit pleinement visible.
La deuxième raison est le manque de force du signal de risque à court terme. Les facteurs de risque sont les politiques publiques (par le biais de la réglementation ou de signaux de prix clairs), la demande du marché et l’offre du marché. Pourtant, tant qu’au moins un de ces facteurs de risque n’est pas pleinement développé, le signal de risque n’est tout simplement pas assez fort et les activités nuisibles restent rentables à court terme. Il est évident qu’aujourd’hui nous ne sommes pas dans la situation où la voie est claire, donc même si nous pouvions mesurer correctement le signal de risque, il resterait faible jusqu’au jour où il y aurait une politique claire, une demande claire ou une offre claire.
Alors, à quoi faut-il faire attention pour comprendre les annonces de la COP 26 ?
Pour ces raisons, une approche classique du risque entraine un retard dans l’action, alors que tout le monde s’accorde à dire que des actions rapides sont nécessaires. L’étape suivante consiste donc à comprendre ce dont les institutions financières ont besoin pour contribuer efficacement à une transition ordonnée. Dans ce cas, la contribution consiste à modifier les procédures commerciales au cœur de l’activité, et non pas à obtenir une transparence correcte.
Ce que l’on est susceptible d’entendre avant et pendant la COP26 de la part des institutions financières, ce sont des annonces de cibles sélectionnées et d’objectifs plus larges, des engagements à utiliser les cadres de divulgation existants ainsi que des annonces de nouveaux « produits financiers durables » (indices de référence, fonds, obligations, etc.). Ces annonces peuvent paraître impressionnantes, mais elles ne sont probablement pas en mesure de tenir la promesse d’une contribution à la transition.
Malheureusement, les annonces et les mesures qui peuvent assurer une réelle contribution sont susceptibles d’être beaucoup moins sexy à des fins de communication. Mais elles peuvent avoir plus de potentiel pour la transition elle-même :
- Formation interne et renforcement de capacités, depuis le conseil d’administration jusqu’au conseiller financier. Oui, cela peut ne pas sembler passionnant, mais vous ne pouvez pas demander à vos employés d’intégrer de nouvelles procédures s’ils ne comprennent pas pourquoi et comment ils peuvent être bons dans ce domaine.
- Intégration du climat dans les structures de gouvernance. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des procédures relatives au climat (une fois par trimestre, le conseil d’administration est informé de la stratégie climatique…), mais de revoir toutes les procédures internes, y compris les systèmes d’incitation internes, pour déterminer si et comment elles doivent intégrer les questions de transition ET d’adaptation.
- Objectifs cohérents d' »alignement » à long terme compatibles avec un réchauffement de 1,5°C, jalons à moyen terme, plans d’action à court terme basés sur le rétroplanning.
- Création de signaux de prix internes lorsque le signal de risque n’est pas encore assez fort et en faire des parties intégrantes des procédures de décision.
- Exiger des contreparties qu’elles élaborent elles-mêmes des plans de transition comme condition d’investissement/de financement.
- Restrictions claires sur l’utilisation de la compensation et le recours à la suppression des émissions.
Cette liste est non exhaustive et doit être complétée. Mais c’est à la définition de ces mesures, et à la manière de les rendre non optionnelles via la réglementation financière, que nous devons consacrer notre énergie. Il existe des signes encourageants qui vont dans ce sens. La COP 26 pourrait être un tournant à cet égard.