Edito – One Planet Summit: la finance mondiale et la lutte contre le changement climatique
Par Morgane Nicol, Ian Cochran et Benoit Leguet
Le ‘One Planet Summit’ organisé par Emmanuel Macron, Jim Yong Kim, et Antonio Guterres pour célébrer les deux ans de la signature de l’Accord de Paris se tiendra mardi 12 décembre à Paris. Ce sommet et les événements parallèles organisés du 10 au 14 décembre se focaliseront sur un sujet clef : l’engagement des acteurs financiers pour soutenir la lutte contre le changement climatique.
Mais pourquoi donner une telle importance aux enjeux de la Finance Climat aujourd’hui ?
Deux principaux objectifs
D’une part, les acteurs financiers publics comme privés devront apporter les financements nécessaires à la transition vers une économie bas-carbone et résiliente au changement climatique. De l’ordre de cent mille milliards d’investissements seront nécessaires au niveau mondial entre 2015 et 2030 pour réussir à limiter l’augmentation de la température moyenne à +2°C. Plus que de réaliser des investissements additionnels, l’enjeu est d’abord de réallouer les portefeuilles des actifs carbonés vers des actifs bas-carbone.
D’autre part, la performance des acteurs financiers pourrait être mise à mal par les risques climatiques. Ces risques sont liés aux impacts, pour les entreprises et les ménages, des conséquences du changement climatique et des évolutions – technologiques, réglementaires et de marché – requises par la transition.
2015 : l’année du tournant
Le secteur de la finance faisait plutôt figure de tortue dans l’objectif de prise en compte des enjeux climatiques jusqu’au tournant que constitue l’année 2015, marquée par deux événements.
Le premier est le discours prononcé par Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre et Président du ‘Financial Stability Board’, organe adossé au G20. Mark Carney y a affirmé que le changement climatique pourrait impacter la stabilité financière mondiale à terme et appelé les acteurs financiers à gérer ces risques. Ceci marque un changement de paradigme : les enjeux climatiques deviennent un facteur financier, et non plus uniquement un objet environnemental.
Pour écouter le discours de Mark Carney: https://youtu.be/V5c-eqNxeSQ
Quelques semaines plus tard, l’Accord de Paris a fait de l’alignement des flux financiers sur une trajectoire bas-carbone l’un des trois piliers de la lutte contre le changement climatique, à travers son Article 2.1.c.
Depuis 2015, les acteurs financiers ont fait des progrès nets vers la prise en compte des enjeux climatiques. Il reste cependant une bonne partie du chemin à parcourir.
Gérer les risques climatiques
Les travaux de la Taskforce on Climate-related Financial Disclosure lancée par le G20, ainsi que ceux de la Banque d’Angleterre, du Trésor et de la Banque de France et de la Banque centrale des Pays-Bas sont convergents, et concluent que les acteurs financiers devraient améliorer leurs évaluations de l’exposition de leurs portefeuilles aux risques climatiques.
Les acteurs financiers, des prestataires de données et des centres de recherche travaillent actuellement en ce sens. Une triple collaboration sera nécessaire pour accélérer le mouvement : entre acteurs financiers et centres de recherche, entre acteurs financiers, régulateurs et superviseurs, et entre les différents organes de supervision à un niveau international. Il faut ainsi s’attendre dans les prochaines années à ce que le rôle des superviseurs dans le suivi des enjeux climatiques s’accentue. La Commission européenne pourrait rapidement donner le « la », à travers le rapport, attendu début 2018, du High Level Expert Group on Sustainable Finance.
Financer la transition vers une économie bas-carbone
Différents outils financiers ‘verts’ ont été mis en place. Le plus connu est le marché des obligations vertes ou ‘green bonds’. Ce marché a cette année encore marqué un record en volume d’émissions. Il reste toutefois un marché de niche, représentant moins de 0,5% du marché mondial des obligations.
Par ailleurs, de nombreux investisseurs ont pris des engagements de désinvestissement des énergies fossiles, notamment du charbon, et parfois des engagements d’investissement dans des technologies ‘propres’. Certains se sont engagés à publier l’empreinte carbone de leurs portefeuilles d’investissements. Des investisseurs ont également déclaré mettre en place une stratégie d’engagement sur les enjeux climatiques auprès des entreprises dans lesquelles ils investissent.
L’enjeu principal est donc aujourd’hui d’accélérer la mise en œuvre de ces engagements pour une véritable réallocation des investissements. Car le temps presse, et le volume d’investissements bas-carbone n’est pour le moment pas suffisant. En France par exemple, de l’ordre de la moitié des investissements requis pour atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas-Carbone n’ont pas été réalisés en 2016.
Suivre les avancées
Afin de vérifier si l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris d’alignement des flux financiers sur une trajectoire bas-carbone et résiliente au changement climatique est en bonne voie, il faudra également suivre l’avancée de la réallocation des flux financiers mondiaux. Deux pré-requis seront nécessaires et pourraient être pris en charge par les Etats : publier les scénarios d’investissements correspondant à leurs engagements climatiques, et mettre en place un suivi des flux financiers ‘Climat’ dans leurs économies.
Sensibiliser et former les professionnels de la finance au climat
Les actions requises devront être mises en place au sein de l’ensemble des institutions financières, et pas uniquement au sein des institutions publiques ou acteurs financiers privés spécialisés dans le « vert ». Des milliers de spécialistes de la finance devront prendre en compte des facteurs pour lesquels ils n’ont pas été formés. Une sensibilisation et formation de ces milliers de collaborateurs est donc à mettre en place très rapidement.
Un besoin de politiques climatiques cohérentes
Le secteur financier a un rôle clair à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Cette mise en valeur du rôle de la finance ne doit cependant pas faire passer au second-plan d’autres outils à notre disposition : instruments réglementaires et fiscaux, tarification du carbone, subventions pour les technologies les moins matures et soutien à la recherche et développement. Si les entreprises ne revoient pas leurs stratégies pour les rendre compatibles avec une trajectoire 2°C, et si les investissements requis au niveau de l’économie réelle ne sont pas ‘bancables’, les acteurs financiers ne trouveront pas suffisamment d’investissements à financer. Il s’agit donc de mettre en œuvre un faisceau de politiques climatiques cohérentes, lisibles et stables, tout en incitant les acteurs financiers à prendre en compte ces politiques climatiques dans leur stratégie.
Un programme chargé pour le One Planet Summit donc, et par la suite pour l’année 2018.