COP24 : le défi de la mise en œuvre
La COP24 de Katowice vient de s’achever, marquée par l’adoption dans la difficulté d’un paquet de règles pratiques – le Katowice climate package – en matière de transparence, de contenu des contributions nationales ou de leur révision. Une COP marquée aussi par de profondes inquiétudes sur la volonté des Etats d’augmenter leur ambition climatique dans les années à venir, alors même que les engagements actuels des pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre conduiraient à un réchauffement de la planète bien supérieur à 2°C, seuil au-delà duquel notre climat ferait un bond dans l’inconnu.
Mais depuis la COP21, la COP ne se limite pas, ou plus, à une négociation entre Etats. C’est un point de convergence des agendas politiques, des négociations, et des multiples initiatives – portées par des ONG, des collectivités, des entreprises – pour la mise en œuvre concrète de l’Accord de Paris. C’est aussi une scène où certains défis sont mis sous le feu des projecteurs.
La COP de la transition juste
A Katowice, c’est d’abord le défi de la transition juste qui a marqué l’équipe d’I4CE présente sur place pour présenter ses dernières réalisations dans une dizaine de side-events. Un thème d’importance pour la Pologne, confrontée aux enjeux sociaux que pose le nécessaire déclin de son importante industrie charbonnière, et qui a été à l’origine d’une déclaration sur la transition juste soutenue par plus de 50 Etats. Un thème d’actualité aussi, bien sûr, avec la crise des gilets jaunes en France et son retentissement international.
La tarification du carbone ne figure pas au programme officiel des négociations, mais elle a néanmoins été longuement évoquée dans les couloirs et les évènements parallèles. Les gouvernements nationaux et locaux, les organisations internationales, les entreprises et observateurs ont rappelé que la tarification du carbone monte en puissance à travers le monde, et qu’elle est un outil nécessaire à la transition. Mais lors des différents évènements traitant du sujet, de nombreux intervenants ont aussi répété qu’une utilisation transparente des revenus issus des taxes et marchés carbone était indispensable pour renforcer l’acceptabilité et la pérennité de ces dispositifs publics. Ils ont insisté sur la nécessité d’établir un lien tangible entre les revenus générés et l’utilisation faite de ces fonds, et souligné l’importance d’accompagner ces instruments par des mesures sociales. Des prises de parole qui font écho aux travaux menés par I4CE sur l’utilisation des recettes carbone à travers le monde.
La COP de l’alignement de la finance
Si l’attention des négociateurs a principalement portée sur la « finance climat », soit les flux financiers publics et flux privés mobilisés spécifiquement pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, les événements parallèles et discussions de couloirs se sont aussi et surtout intéressées au défi de l’opérationnalisation du 3ème objectif de l’Accord de Paris : rendre tous les flux financiers « compatibles » avec une trajectoire de développement bas carbone et résiliente au changement climatique.
D’un côté, les règles de comptabilisation de la finance climat et la question de la mobilisation des 100 milliards de dollars tous les ans à partir de 2020 pour aider les pays en développement a été négociée dans un contexte de forte incertitude, suite à la crise du Fonds Vert pour le Climat de cet été. L’Allemagne et la Norvège se sont engagées à doubler leur contribution au Fonds Vert pour envoyer à la communauté internationale un signal positif fort à l’aube du processus de réalimentation du Fonds en 2019 qui s’annonce compromis par l’absence de contribution des Etats-Unis. L’annonce de la Banque mondiale d’investir 200 milliards de dollars pour l’action climat sur la période 2021-2025 a clairement rappelé le rôle des autres acteurs financiers publics pour répondre aux besoins de financements pour l’atténuation et l’adaptation.
De l’autre côté, la COP s’est ouverte sur la publication de l’approche conjointe des Banques Multilatérales de Développement pour « s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris ». Quelques jours après, le réseau de banques régionales, bilatérales et nationales de développement IDFC publiait également l’approche du réseau sur ce sujet tandis qu’un groupe de banques commerciales lançait un réseau pour travailler sur l’alignement de leur portefeuille avec un scénario 2°C. Opérationnaliser les engagements d’alignement, les traduire dans les activités quotidiennes et la gouvernance, tel est le défi des banques publiques et privées. C’est aussi l’objectif de l’Initative Climate Action in Financial Institutions dont I4CE assure le secrétariat scientifique.
Si les discussions à la COP24 témoignent d’une prise en compte croissante du climat par les acteurs financiers dans leurs opérations, beaucoup reste à faire, comme le montre la dernière publication d’I4CE sur les risques pour le secteur financier des impacts du changement climatique
Financer les puits de carbone
Depuis la parution du dernier rapport du GIEC sur les scénarios 1.5°C, le rôle des puits de carbone au premier rang desquels les forêts a été mis sous le feu des projecteurs. La COP24 aura été marquée par la déclaration ministérielle de Katowice « Les forêts pour le climat », à l’initiative de la Pologne, qui invite notamment les entreprises et les collectivités locales à prendre des engagements. Cette déclaration a pu inquiéter ceux qui craignent que la séquestration du carbone, indispensable pour atteindre un monde neutre en carbone, ne se substitue dans les discours politiques et dans les faits aux réductions d’émissions.
Quoiqu’il en soit le financement du secteur des terres, et notamment de la lutte contre la déforestation, reste encore insuffisant, bien que le cadre opérationnel dit REDD+ soit finalisé depuis 2015. Dans le cadre des négociations officielles sur les mécanismes de marché (Article 6), mécanismes importants du financement du secteur forestier, la question du double-compte s’est à nouveau posée. Comment éviter qu’une réduction d’émissions soit comptée par deux pays différents, celui qui finance et celui qui réduit effectivement les émissions sur son territoire ? Cela nécessitera l’adoption de lignes directrices au niveau international. La même question se pose hors des instances officielles de négociations entre pays, et agite la sphère des acteurs du marché volontaire de la compensation, au premier rang desquels I4CE. I4CE a contribué à la création du Label Bas-Carbone, publié en novembre par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, et qui devrait permettre d’orienter des financements publics et privés vers des projets domestiques agricoles et forestiers qui réduisent les émissions ou améliorent la séquestration du carbone.
Conclusion
En dehors des salles de négociation, les discussions à la COP24 ont ainsi témoigné des défis de la mise en œuvre de la transition. Que ce soit la mise en œuvre par les gouvernements de politiques de tarification du carbone dans un contexte social tendu ; l’opérationnalisation des engagements des institutions financières, publiques comme privées, à aligner leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris, ou encore le financement des puits de carbone. En cela, elles ne différent pas des discussions entre négociateurs, qui ont eu tant de mal à trouver des compromis sur les règles de mises en œuvre de l’Accord de Paris.