Non, la consommation de viande ne baisse pas
La perception commune est que la consommation de viande diminue en France. Les données de l’administration montrent cependant que la consommation, si elle se transforme, ne baisse pas. Et que nos importations augmentent, et avec elles les émissions ailleurs en Europe. Pour Lucile Rogissart d’I4CE, ce constat appelle à rediscuter, avec tous les acteurs de l’élevage, de la trajectoire de consommation (et de production) de viande à l’horizon 2050, et des leviers de politique publique à actionner pour l’accompagner.
L’élevage – avec les émissions de gaz à effet de serre des animaux et de leur alimentation – représente environ 15 % des émissions françaises. C’est un invariant de tous les scénarios visant la neutralité carbone à horizon 2050 : la consommation de viande doit diminuer. S’ils ne sont pas d’accord sur l’ampleur de la diminution, les scénarios convergent sur la nécessité de cette baisse. En particulier, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) – qui définit les grands objectifs sectoriels de la France pour atteindre la neutralité carbone – table sur une réduction de l’ordre de 20 % d’ici 2050.
Peut-être du fait de la présence des thèmes du végétarisme, du véganisme et du flexitarisme dans l’espace médiatique, nombre de personnes ont l’intuition que cette baisse est déjà en cours. Notamment du côté des décideurs publics. La dynamique serait déjà lancée, il n’y aurait donc pas besoin d’inventer de nouvelles politiques sur la consommation de viande, afin de progresser vers ce que les ONG appellent le « moins mais mieux ». Les polémiques sur les menus végétariens dans les cantines incitent d’autant plus à se détourner du problème.
Pourtant, d’après les chiffres du ministère de l’agriculture, la consommation totale de viande en France ne diminue pas (Figure 1). Elle a augmenté fortement jusqu’en 1990, avant que le rythme ralentisse sans pour autant conduire à une stabilité de la consommation. Ces huit dernières années, cette augmentation semble même s’amplifier à nouveau.
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Remarquons ici que, alors que la consommation a augmenté de 10 % en 30 ans, la production française a diminué de 23 % sur la même période, dans un contexte de difficultés économiques, de compétition européenne forte, de vague importante de départs à la retraite et de conditions de travail et de rentabilité qui découragent les candidats à l’installation. Résultat : nos importations de viande augmentent et nous consommons désormais légèrement plus que ce que nous produisons (Figure 2).
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On ne consomme plus de la viande de la même façon
La hausse de la consommation totale de viande en France s’explique en grande partie par l’augmentation de la population, encore à l’œuvre aujourd’hui. Et s’il y a bien eu une baisse de la consommation moyenne par habitant à partir de 1990, celle-ci a été finalement assez faible (-11 % en 23 ans) et la tendance des dernières années est plutôt à une stabilisation voire à une augmentation. Certaines études concluent à des diminutions de la consommation par habitant, de l’ordre de 1 % par an depuis quelques années, mais elles reposent sur les déclarations des consommateurs, et sont donc généralement considérées comme moins robustes que les chiffres de l’administration sur les disponibilités au niveau national.
Comment expliquer le décalage entre l’intuition d’une baisse de notre consommation de viande et les chiffres observés ? Une explication pourrait être, comme le soulignent différents rapports*, l’augmentation de la consommation de viandes « cachées ». La consommation de viande « entière » (pièces de boucherie, volailles entières, morceaux surgelés, etc.) s’érode en effet depuis plusieurs décennies, mais la restauration hors domicile de viande (les fameux burgers notamment) augmente tout comme la consommation de plats préparés et de produits transformés contenant de la viande (pizzas, sandwiches, cordons bleus, nuggets…). C’est particulièrement vrai pour la volaille : en 4 ans seulement, la consommation de poulet a augmenté de 3 % sous forme de pièces ou de poulet entier, de 14 % dans la restauration et de 23% dans les plats préparés et produits transformés. Une autre explication à ce décalage entre les données observées et l’intuition pourrait être que, si la consommation de viande augmente, on ne consomme plus exactement les mêmes viandes qu’auparavant : la consommation de bœuf – la viande par excellence dans l’imaginaire collectif – a baissé de l’ordre de 5% ces 10 dernières années. Elle est plus que remplacée par la consommation de volaille, en très forte augmentation.
Rediscutons de la trajectoire française de consommation de viande et des politiques publiques pour l’accompagner
La consommation de viande ne baisse donc pas – comme prévu dans la SNBC – mais cela veut-il dire que nous n’atteindrons pas nos objectifs climatiques ? Difficile à dire à ce stade. La production de volaille émettant beaucoup moins de gaz à effet de serre que celle de bœuf, on comprend bien que c’est moins la tonne de viande consommée qu’il faut regarder et plutôt les émissions de notre consommation de viande. Difficile aussi à dire car, si la SNBC mise sur une baisse de la consommation de viande de 20% d’ici 2050, d’autres scénarios considèrent que cette baisse devra être bien plus forte pour que la France devienne neutre en carbone, jusqu’à 75%.
Cela implique de rediscuter, sereinement et avec tous les acteurs de la filière, de notre trajectoire de consommation de viande, dans le cadre d’une discussion plus globale sur l’avenir de la filière et le modèle alimentaire de demain. La révision de la SNBC, qui a commencé, ou encore la future Loi d’orientation agricole, sont l’occasion d’avoir ces discussions.
Les conclusions de ces discussions devront nous conduire à rouvrir, plus ou moins fortement, le dossier des politiques pour accompagner la transition à la fois de la production et de la consommation de viande. Du côté des politiques de consommation, seul l’affichage environnemental sur les produits et la proposition de plats végétariens dans les cantines ont réellement été débattus lors de la campagne présidentielle. L’administration planche sur la première solution et la seconde commence à être mise en œuvre. Deux politiques dont les effets sont particulièrement difficiles à estimer ex ante et probablement lents à produire leurs effets. Autrement dit : pas sûr qu’elles suffisent à nous mettre sur le rythme de réduction requis. Un plus large champ de politiques publiques pourrait dès lors être envisagé, qui agissent sur l’offre de produits alimentaires, sur les consommateurs ou sur les deux à la fois. Parmi les idées qui circulent, citons la création d’un marché carbone européen pour les industries agro-alimentaires, les incitations à diminuer la part de viande dans les plats préparés, l’encadrement de la publicité, ou encore une réforme du taux réduit de TVA sur la viande…
* FranceAgriMer (2022, 2019, 2010) « La consommation des produits carnés », Gira Foodservice (2020) « Panorama de la consommation alimentaire hors domicile en 2018 », Idele (2011, 2019) Où va le bœuf ?, Ifip (2021) « Panorama de la consommation et de la distribution des produits du porc », FranceAgriMer (2020) « Analyse des flux d’importation de volaille en France. Données 2019 »