Climat : les 5 débats incontournables du marathon budgétaire
Le climat et la planification écologique occupent une place centrale en cette rentrée budgétaire. La loi de programmation des finances publiques, qui doit encore être discutée avec le Sénat, exige désormais du gouvernement une stratégie pluriannuelle de financement de la planification. Le projet de loi de finances pour 2024, qui va bientôt entrer au Parlement, consacre quant à lui 7 milliards d’euros supplémentaires pour accompagner la transition des ménages, des entreprises et des collectivités. Ces 7 milliards n’épuisent pas la question du financement de la transition climatique et nous vous proposons, dans ce billet, un tour d’horizon des débats incontournables pour le climat qui auront lieu ou qui – selon I4CE – devraient avoir lieu pendant ce véritable marathon budgétaire.
Débat #1 : 7 milliards d’euros de plus, est-ce assez ?
Deux chiffres clés figurent dans le projet de budget du gouvernement : 7 milliards d’euros, c’est la hausse des dépenses pour la planification écologique prévue en 2024 (les crédits de paiement) ; 10 milliards d’euros, c’est la hausse des dépenses que le gouvernement pourra engager dès 2024, quitte à finir de les payer plus tard (les autorisations d’engagement). « Un investissement inédit de l’État pour la transition écologique » selon la Première ministre, qui doit permettre de rénover plus de logements privés et de bâtiments publics, de moderniser les infrastructures de transports en commun, d’accélérer le déploiement des véhicules électriques ou la transition agricole. Inédite, cette hausse l’est en effet. Il n’y a guère que la crise du COVID et son Plan de relance pour avoir – momentanément – conduit à une hausse aussi importante des crédits pour la transition ces dix dernières années.
Source : gouvernement septembre 2023
L’examen du texte en détail au Parlement donnera lieu à des propositions pour amender le projet du budget du gouvernement, que ce soit pour augmenter certaines enveloppes, en réduire d’autres, ou encore questionner l’efficacité des aides. C’est une bonne chose. Le chiffrage du gouvernement est issu de compromis interministériels et d’hypothèses sur l’argent qui sera mis en complément par le secteur privé et les collectivités. Il mérite d’être passé à la moulinette du débat parlementaire et du débat public.
Il est par exemple nécessaire de questionner l’enveloppe supplémentaire de 1,4 milliards d’euros prévue par le gouvernement pour les infrastructures de transport, étant donné l’ampleur des investissements à réaliser selon le Conseil d’Orientation des Infrastructures. Quant à l’adaptation, les besoins de financements publics n’ont pas encore été évalués dans le cadre de la planification écologique mais, sans attendre le futur Plan national d’adaptation au changement climatique et le budget 2025, plusieurs enveloppes budgétaires permettraient de mieux anticiper l’évolution du climat.
On vient de le voir, il faudrait sûrement dépenser plus dans certains secteurs. Il faudra certainement dépenser mieux, s’assurer que chaque euro dépensé conduise bien à des réductions d’émissions et à plus de résilience face au changement climatique. La rentrée budgétaire sera ainsi l’occasion de débattre de la réforme de MaPrimeRénov’ pour favoriser les rénovations performantes, de celle du bonus-malus pour favoriser les véhicules les plus propres. Le débat doit aussi avoir lieu sur la prise en compte de l’adaptation dans les investissements publics pour éviter de créer des infrastructures ou des logements non adaptés au climat de demain et qu’il faudra donc encore modifier.
Débat #2 : le pari du « désendettement vert » pour boucler le budget est-il tenable ?
Comment financer la hausse des dépenses pour la transition ? Si le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz recommandait d’utiliser le levier des économies budgétaires, il recommandait aussi de ne pas écarter les leviers de l’endettement et de la hausse de la fiscalité. Le gouvernement a fait un choix différent : il compte essentiellement, dans son projet de budget pour 2024, sur des économies ailleurs dans le budget pour financer la transition écologique et d’abord et surtout sur la sortie du bouclier tarifaire.
Le projet de budget du gouvernement comporte également plusieurs hausses de fiscalité qu’on peut qualifier d’écologiques. Plusieurs fois évoquées par le gouvernement, le rehaussement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion ne figure finalement pas dans le projet de loi soumis au Parlement. Ce projet prévoit bien, en revanche, la réduction et la suppression de certaines niches fiscales sur le gazole non routier à horizon 2030, dont bénéficient aujourd’hui l’agriculture et les entreprises de travaux publics. Cette mesure, qui a aussi des vertus incitatives, ne devrait pas néanmoins générer de nouvelles recettes pour boucler le budget : les secteurs concernés bénéficient de mesures compensatoires qui, par ailleurs, semblent peu ou pas favoriser la transition. Le rehaussement de la fiscalité sur les véhicules d’entreprises, qui devrait contribuer au verdissement de la flotte, ne contribuera pas au financement de nouvelles dépenses pour la transition puisque ces recettes sont affectées à la Sécurité sociale. Les nouvelles recettes pour financer la transition sont plutôt attendues de la « taxe sur les grandes exploitations d’infrastructures de transport de longue distance » qui devraient rapporter de l’ordre de 600 millions d’euros.
Source : revue réalisée par I4CE, les parties hachurées représentent les recettes devant faire l’objet de mesures compensatoires, ou déjà fléchées vers des dépenses sans lien avec le climat
Comment boucler le budget après 2024 ? Il n’y aura plus beaucoup d’économies à faire sur le bouclier tarifaire, et Bercy compte sur la montée en puissance de la réforme des retraites, de l’assurance chômage ou encore de la fin du dispositif Pinel. Dans le même temps, les besoins de dépenses publiques supplémentaires vont augmenter, certainement bien plus vite, au fur et à mesure que la planification écologique se mettra en œuvre sur le terrain. Ils devraient tripler, par exemple pour atteindre les objectifs très ambitieux de rénovation des bâtiments publics et privés. Les débats au Parlement changeront peut-être, un peu, les équilibres du prochain budget sur le financement des dépenses pour la transition. Ils devront, surtout, mettre à plat les options et les positions des différentes forces politiques pour commencer à faire émerger un compromis possible pour la suite.
Débat #3 : le budget donne-t-il accès à tous les ménages à la transition ?
C’est une évidence depuis la crise des gilets jaunes : la transition doit être accessible aux classes moyennes et modestes, les efforts doivent être équitablement répartis, les politiques publiques doivent prendre en compte les différences entre les ménages, qu’il s’agisse de leurs capacités financières ou de leurs modes de vie. Le budget de l’État est un levier important pour s’assurer que la transition soit « juste », et le gouvernement sera aussi jugé là-dessus. À qui bénéficieront les 7 milliards de crédits supplémentaires ? Les aides sont-elles suffisantes pour que tout le monde ait accès à la transition ? Qui seront les principaux contributeurs à la hausse des recettes écologiques ?
À première vue, des efforts budgétaires vont être faits à destination de ceux qui ont le plus de mal à accéder à la transition : hausse des aides à la rénovation des logements et à l’acquisition de véhicules propres pour les ménages modestes, leasing social de véhicules électriques, priorisation de la mobilité du quotidien au détriment des LGV dans les infrastructures de transport. Mais cela mérite d’être confirmé, d’abord, et débattu, ensuite. Il sera utile d’examiner comment le gouvernement documente ces enjeux lorsqu’il publiera le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État, le « budget vert », attendu d’ici les prochaines semaines. Rappelons que, pour les classes moyennes, le coût d’investissement pour rénover son logement et accéder à la mobilité électrique représente plus d’une année de revenu et le reste à charge après subventions excède bien souvent – selon une étude d’I4CE à paraître mi-octobre – leur capacité d’épargne et d’endettement.
Débat #4 : l’équation financière est-elle tenable pour les collectivités ?
Si l’État augmente de 7 milliards ses dépenses pour la transition en 2024, il compte aussi sur une forte mobilisation des autres acteurs publics et privés, et en premier lieu des collectivités territoriales (mairies, départements, régions).
Pour les collectivités territoriales, le premier enjeu du débat budgétaire en cours est de faire ressortir plus clairement la part de l’effort budgétaire qui leur incombe dans le cadre de la planification écologique nationale : sans vision partagée de leurs besoins, difficile de parler de financement. Communes, intercommunalités, départements et régions portent l’essentiel de l’investissement public et I4CE a évalué les besoins d’investissement des collectivités pour la neutralité carbone à plus de 6,5 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici 2030 dans les seuls secteurs du bâtiment, de l’énergie et des transports. Cet effort, déjà conséquent, est un minimum qui ne prend en compte ni la récente inflation, ni les dépenses liées aux politiques d’adaptation, de déchets et de biodiversité, ni les dépenses d’exploitation liées au développement des infrastructures de transport.
Le deuxième enjeu du PLF 2024 pour les collectivités concerne l’évolution des crédits de l’État dédiés à des actions « climat » dans le projet de loi de finances. L’enveloppe du « Fonds Vert » augmente à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur quatre ans et le PLF prévoit un « verdissement » d’autres dotations d’investissement. Cela reflète la volonté de l’État de poursuivre la hausse, entamée avec le plan de relance, de ses soutiens ciblés à l’action climatique des collectivités. Les montants précis, les modalités de gestion de ces fonds ainsi que les objectifs poursuivis seront donc à analyser plus finement au cours des débats à venir (I4CE proposera un décryptage cet automne).
Néanmoins le débat sur les conditions financières de l’accélération de l’engagement des collectivités pour le climat doit être pris sous un prisme élargi que le seul examen du budget de l’État ne permet d’apprécier. Librement administrées, elles disposent de marges en recettes ou en dépenses pour conduire leurs propres choix, chacune selon ses spécificités territoriales ou budgétaires. Le troisième enjeu des discussions budgétaires de l’automne est donc, au moment où la planification écologique rentre dans sa phase de territorialisation, de savoir comment l’accélération de l’action climatique des collectivités s’intègre dans la vision qu’a le gouvernement de l’évolution de leurs finances à moyen terme.
Débat #5 : la programmation pluriannuelle des financements publics
Le budget 2024 ne sera pas une mince affaire mais, on l’a vu, il n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Les besoins de dépenses publiques pour passer le mur d’investissement vont augmenter jusqu’à la fin du quinquennat et le bouclage budgétaire s’annonce plus ardu pour l’État et pour les collectivités. Cela se prépare, et c’est pourquoi les parlementaires ont demandé au gouvernement – avec l’avis favorable de ce dernier et dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques – de rendre publique dès l’année prochaine une stratégie pluriannuelle de financement de la transition. Une stratégie qui a vocation à être débattue chaque année au Parlement et mise à jour en continue. Cette stratégie n’a pas la même valeur normative qu’aurait eu une loi de programmation des finances publiques dédiée à la transition, comme il en existe pour la recherche ou pour l’armée. Elle est néanmoins une très bonne nouvelle et constitue un pas important.
I4CE incite depuis plus de deux ans le gouvernement à élaborer son plan de financement de la transition dans la durée, et cette idée est progressivement devenue consensuelle, du MEDEF aux ONG en passant par la Cour des comptes, les parlementaires et in fine le gouvernement. Le consensus disparaitra certainement à propos du contenu de la stratégie et en particulier sur la répartition de l’effort financier entre le public et le privé. Il y aura surement beaucoup de postures, beaucoup d’idées préconçues. L’élaboration et le débat de cette stratégie permettront, espérons-le, d’en sortir, car ils imposeront à tout un chacun de rentrer dans les détails du financement de chaque secteur, de la rénovation des écoles à la décarbonation de l’industrie. Personne ne pourra en rester à un vibrant « le public doit payer » ou un laconique « la finance privée s’en occupera ».