Adaptation: dans l’actualité l’été, pas dans le budget à la rentrée
Les impacts du changement climatique coûtent déjà de l’argent public chaque année et vont en couter de plus en plus. Pourtant, l’adaptation reste encore largement absente des débats budgétaires. Beaucoup de travail reste à faire pour évaluer et programmer précisément dans la durée les besoins, mais Vivian Dépoues d’I4CE appelle à lancer ce chantier dès maintenant et identifie plusieurs dossiers budgétaires où l’adaptation mérite d’être prise en compte sans attendre.
Les conséquences du changement climatique coûtent déjà de l’argent public, et ce n’est qu’un début
Les conséquences du changement climatique coûtent déjà de l’argent public chaque année et, si l’impact des aléas climatique a été moins visible en France cet été que chez nos voisins allemands, méditerranéens ou américains, il ne faut pas remonter bien plus loin pour trouver des exemples frappants. Suite à l’épisode de gel tardif qui a détruit jusqu’à 50 % des récoltes de fruits au printemps 2021, c’est un fonds exceptionnel d’un milliard d’euros qui a été mis en place dans l’urgence par le gouvernement. Dans le cadre du plan France Relance, ce sont plus de 150 M€ qui ont dû être dédiés au renouvellement de peuplements forestiers sévèrement affectés par les sécheresses de 2018 et 2019. Le changement climatique a donc déjà un impact pour les finances publiques et son coût devrait malheureusement augmenter et ce d’autant plus que nous tarderons à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Quant aux dispositifs de gestion des crises, de la sécurité civile au régime d’assurance des catastrophes naturelles, s’ils ont été robustes jusqu’à aujourd’hui, les projections dont on dispose laissent penser que cela ne pourra pas être suffisant dans la durée. Des hausses de budgets exceptionnelles – comme celle dont ont bénéficié les pompiers des Vosges cet été pour faire face à un risque inédit de feu de forêt – ou des correctifs à la marge comme ceux proposés dans les projets et propositions de loi visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles discutés au Parlement ces dernières années ne seront pas à la hauteur de l’enjeu. Dans un contexte climatique différent, les moyens que l’on dédie à ces politiques de gestion des crises – essentielles pour la continuité de la vie économique – vont devoir être réévalués plus structurellement.
Les moyens dédiés l’anticipation vont aussi devoir être profondément réévalués
Il en est de même des moyens alloués à la prévention. L’adaptation au changement climatique c’est certes se préparer à mieux gérer les crises mais c’est aussi agir en amont pour réduire l’exposition et la vulnérabilité des populations et des activités et pour renforcer la robustesse des équipements. C’est le secours aux personnes mais aussi l’aménagement de zones d’expansion des crues et d’espaces refuges ; c’est la reconstitution des peuplements d’arbres sinistrés mais aussi la diversification des essences et l’entretien des pistes forestières ; c’est l’assurance sécheresse mais aussi la préservation de la ressource en eau et l’évolution des pratiques agricoles, etc. Il est peut-être plus simple de débloquer des moyens dans l’urgence, mais ce n’est bien souvent pas l’option optimale.
Cette anticipation, qui reste jusqu’à aujourd’hui le parent pauvre des efforts d’adaptation en France, requiert des moyens financiers qui ne lui sont pas attribués. Nous l’écrivions en juin, elle nécessite des capacités d’investissement, pour renforcer, mettre à l’abri, déplacer, réaménager. Elle nécessite aussi des moyens humains pour mieux concevoir, mieux aménager, faire des choix de développement économiques plus adaptés aux contraintes climatiques.
Pourtant, l’adaptation n’est toujours pas un sujet de débat budgétaire
Malgré tous ces enjeux de financements, l’adaptation reste très généralement absente des débats que nous avons chaque année à l’occasion du vote du budget de l’État. Les impacts du changement climatique font la une des journaux l’été, mais pas des débats budgétaires de la rentrée. Et jusqu’ici l’introduction de l’adaptation dans l’analyse environnementale du budget de l’État n’a pas permis de meilleure prise en charge du sujet.
Pour que le débat ait lieu et soit de qualité, les parlementaires devraient idéalement pouvoir s’appuyer sur une programmation des dépenses d’investissement comme de fonctionnement répondant aux besoins d’adaptation. Comme il n’y a jamais qu’une manière de s’adapter, ils devraient même pouvoir disposer de différents scénarios correspondant à différente attitudes possibles face aux risques climatiques, misant par exemple plus ou moins sur l’anticipation ou la gestion de crise. C’est ce qu’ils devraient demander, dès maintenant, à l’administration.
Un document de politique transversale sur l’adaptation, en attendant mieux
Produire de tels scénarios et une telle programmation des dépenses pour l’adaptation va néanmoins demander du temps. Un travail de fond doit donc encore être mené par les ministères et les experts pour mieux comprendre et chiffrer les besoins. Une première étape pourrait être de réaliser un document de politique transversale donnant une vue d’ensemble de toutes les politiques publiques – de gestion des risques, mais également de recherche, d’aménagement, de développement économique, de santé, etc. – qui doivent pouvoir contribuer à l’adaptation. De tels « DPT » existent déjà sur de nombreux sujets qui recoupent plusieurs domaines d’intervention de l’Etat, comme la prévention en santé, et sont présentés aux parlementaires en même temps que le projet de loi de finances. En produire un sur l’adaptation permettrait d’avoir un aperçu consolidé des dépenses concernées et de leur évolution.
Il ne faudra pas occulter l’adaptation dans plusieurs débats budgétaires des prochaines semaines
Sans attendre un tel document, les débats budgétaires des prochaines semaines peuvent déjà être l’occasion de faire avancer très concrètement la France sur la voie de l’adaptation. Pour ne pas prendre le risque de rater ces fenêtres d’opportunité ou pire de faire des choix mal-adaptés, les parlementaires devront d’abord penser adaptation lorsqu’ils débattront des moyens alloués aux principaux opérateurs publics qui y contribuent – sur l’eau, le littoral, la forêt, les infrastructures, etc. Rappelons que jusqu’ici les moyens alloués à ces principaux “opérateurs de l’adaptation” en France suivent plutôt une tendance à la baisse.
Évolution cumulée entre 2014 et 2021 des effectifs totaux des principaux opérateurs contribuant à l’adaptation en France (chiffres du budget 2021, non encore mis à jour avec le PLF 2022)
Ils devront aussi penser à l’adaptation lorsqu’arrivera sur leur table de travail le prochain dispositif de défiscalisation de l’investissement locatif, pour lequel il faudra définir les critères de qualité du bâti : ne serait-il pas pertinent d’y intégrer le confort d’été dans un climat plus chaud ? Ou encore lorsque sera discuté le projet de réforme de l’assurance agricole annoncé pour janvier par Emmanuel Macron et dont les crédits devraient être inclus dans la loi de finance. Dans les prochains mois, la question des investissements à faire pour l’avenir de certaines filières particulièrement concernées par les effets du changement climatique se posera aussi. C’est par exemple le cas de la forêt dont les assises s’ouvriront bientôt.
Un sujet pour les candidats à la présidentielle
Dans de multiples domaines, relever le défi de l’adaptation demandera des moyens. Les montants, la nature et la répartition des dépenses dans le temps dépendront du niveau d’effort que l’on sera prêt à assumer pour se préparer aux évolutions du climat. Définir ce niveau d’effort relève d’un vrai choix politique. Les candidats à la présidence de la République doivent donc pouvoir se positionner et préparer leur budget sur l’adaptation comme ils sont invités à le faire de manière générale sur le climat. Prévoient-ils d’investir dans la résilience de nos infrastructures critiques comme Joe Biden aux Etats-Unis ? S’engageront-ils à préserver et à accroitre les moyens dont disposent les opérateurs publics comme Météo France ou l’ONF en première ligne lors d’évènements extrêmes ? Ou assument-ils que l’on ne sera pas toujours prêt, ou pas partout ? Ils ont encore quelques mois pour clarifier leur vision.