Observatoire des conditions d’accès à la transition écologique, édition 2024
La transition écologique ne pourra se faire que si tous les ménages ont accès aux solutions – transports en commun, voiture électrique, isolation du logement, changement de chauffage, etc. La question de l’accès aux solutions de transition est donc déterminante pour les politiques climatiques. Une attention particulière devrait être portée aux ménages modestes et aux classes moyennes – notamment car les investissements nécessaires risquent de ne pas être soutenables pour ces ménages.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Tous les ménages ont-ils accès à la transition écologique ? Qu’en est-il des ménages modestes et des classes moyennes ?
À la suite d’un premier travail de recherche en 2023, notre objectif est de suivre l’évolution des conditions d’accès à la transition pour les ménages, grâce à un observatoire annuel, dont voici la première édition.
L’Observatoire 2024 se concentre sur la rénovation performante du logement et sur la mobilité, et évalue les conditions nécessaires – mais non suffisantes – pour que les ménages puissent s’engager dans la transition écologique, et en particulier les ménages modestes et les classes moyennes.
Sur chaque thème – rénovation et mobilité – une première partie évalue la capacité économique des ménages à réaliser les investissements nécessaires à la transition, dans la rénovation performante de leur logement et dans une voiture électrique. Cette partie tente d’apporter des éléments de réponse aux questionnements suivants : À combien s’élèvent les investissements dans la rénovation ou la mobilité pour les ménages ? Combien d’aides peuvent-ils toucher ? Quel est donc le reste à charge pour les ménages ? Ont-ils accès à des solutions pour le financer ? Comment évolue leur budget logement et mobilité après investissement ?
Au-delà de la capacité des ménages à réaliser des investissements, d’autres conditions sont nécessaires pour leur donner accès à la transition : la disponibilité d’infrastructures – réseaux de chaleur, pistes cyclables, transports en commun, bornes de recharge –, des emplois qualifiés en adéquation avec les besoins – artisans de la rénovation, accompagnateurs-, une prise de décision ne dépendant pas que du ménage, dans le cas d’une copropriété ou d’un logement en location. Ces conditions sont évaluées dans une seconde partie pour chaque thème.
Cinq messages principaux découlent de ces analyses :
1. L’accès à la transition écologique s’améliore pour les ménages modestes et ceux des classes moyennes
Premièrement, des aides publiques plus importantes pour les ménages modestes et les classes moyennes ont permis de baisser le reste à charge des investissements en faveur de la transition. Les aides à la rénovation énergétique d’ampleur ont augmenté très fortement entre 2023 et 2024 (de plus de 60 % pour tous les ménages pour les maisons individuelles, et de plus de 35 % pour les logements collectifs). Ce développement se place dans la lignée des évolutions des 15 dernières années, avec des aides qui ont augmenté fortement pour la rénovation performante des logements individuels, et d’autant plus pour les ménages modestes et ceux des classes moyennes. Cette indexation des aides sur les revenus est moins prononcée pour les logements collectifs, mais la mise en place d’une aide socle pour tous les ménages a permis de faciliter – dans une certaine mesure – la prise de décision en faveur de la rénovation en copropriété. Côté mobilité, le leasing social a permis de lever la barrière à l’investissement dans les voitures électriques pour les ménages qui ont pu profiter du dispositif. Depuis une quinzaine d’années, les aides à la mobilité sont aussi devenues de plus en plus ciblées sur les ménages modestes et des classes moyennes. Que ce soit côté rénovation ou mobilité, la part des ménages modestes et des classes moyennes inférieures parmi les bénéficiaires des aides est importante, même si des données manquent pour faire une évaluation complète, et que cette part a légèrement baissé pour certaines aides ces dernières années (les aides de l’Anah, la prime à la conversion).
Deuxièmement, des dispositifs de financement aidés peuvent permettre aux ménages des classes moyennes et aux ménages modestes de financer le reste à charge. Côté rénovation, les caractéristiques de l’éco-PTZ – plafond élevé, taux nul, durée longue – en font une solution adaptée pour financer des travaux.
Troisièmement, les investissements publics nécessaires à la transition pour les ménages sont également en augmentation. L’analyse des transports en commun en Île-de-France montre que le territoire est bien maillé et que de nombreux services sont accessibles en une demi-heure pour la plupart des ménages. L’évaluation de l’accès aux zones d’emplois est moins positive, avec plus d’un tiers des habitants d’Île-de-France qui ont accès à moins de 10 % des emplois du territoire en 1 heure. Les nouvelles lignes prévues dans le Grand Paris Express vont améliorer cette situation à horizon 2030. À noter que les conclusions seraient sans doute différentes pour un autre territoire. Les infrastructures nécessaires à la pratique du vélo se développent : la longueur des aménagements cyclables est en augmentation, de même que le nombre de places de stationnement sécurisées dans les gares.
Enfin, des évolutions positives ont lieu, sans qu’il soit nécessairement possible d’identifier le rôle des différents outils de politique publique. Ainsi, côté mobilité, le marché de l’occasion électrique a enfin décollé, rendant les véhicules électriques plus accessibles aux ménages modestes et aux classes moyennes, sans que nous puissions établir la part des différents outils de politique publique sur ce développement (les normes fixées pour les constructeurs, les obligations de verdissement des flottes professionnelles, le bonus-malus, la prime à la conversion).
2. La transition permet aux ménages de faire des économies d’énergie importantes
Les ménages qui parviennent à investir dans la rénovation performante de leur logement et/ou dans la mobilité électrique font des économies d’énergie conséquentes –, de l’ordre de 100 à 380 € par mois côté logement, de l’ordre de 80 € par mois côté mobilité pour un ménage qui roule 10 000 km/an.
Sous conditions, le financement de l’investissement peut être couvert par ces économies d’énergie, et donc ne pas augmenter le budget mobilité ou logement des ménages. Côté logement, les mensualités d’un éco-PTZ sont généralement couvertes par les économies d’énergie d’une rénovation performante. Attention toutefois à certaines configurations : lorsque les ménages sont initialement en situation de précarité énergétique, ou quand certaines caractéristiques du logement ou sa localisation limitent les économies d’énergie. Côté mobilité, le financement du surcoût pour acheter une voiture d’occasion électrique plutôt que son équivalent thermique est couvert par les économies pour un ménage qui roule 10 000 km/an.
3. Des difficultés persistent pour de nombreux ménages, qui devraient faire l’objet d’une attention particulière des politiques publiques
Pour certains ménages, l’accès à la transition est complexifié – par exemple les locataires pour l’accès à un logement rénové, ou encore les ménages habitant en logement collectif où la rénovation dépend d’une décision collective et où l’installation d’une borne de recharge pour voiture électrique est souvent plus difficile.
De plus, malgré les aides, le reste à charge pour les investissements en faveur de la transition reste élevé pour les ménages des classes moyennes et les ménages modestes. Côté rénovation, l’augmentation des aides a permis de le baisser à 10 000 € environ pour la rénovation d’un appartement pour les ménages modestes et les classes moyennes inférieures mais pour une maison, il est supérieur à 20 000 €. Côté mobilité, hors leasing social, le reste à charge reste supérieur à 12 000 € pour une voiture d’occasion électrique ou un modèle neuf entrée de gamme et à 20 000 € pour une citadine standard neuve. Si on compare avec un équivalent thermique, neuf ou d’occasion, le surcoût est de plusieurs milliers d’euros.
Les ménages ont accès à différentes solutions pour financer ce reste à charge : leur épargne, un prêt classique ou un prêt aidé, des contrats de leasing pour les voitures. L’accès à ces solutions de financement est difficile pour des ménages avec certaines caractéristiques (revenus faibles et/ou irréguliers, peu d’épargne, déjà endettés – par exemple pour l’achat de leur résidence principale, âgés). On estime ainsi à 5,3 millions les propriétaires occupants de plus de 65 ans avec une épargne inférieure à 30 000 €, et à 13,5 % la part des propriétaires accédants pour lesquels le taux d’effort pour financer la rénovation performante de leur logement dépasse la capacité de financement, en prenant en compte leur épargne et leur capacité d’endettement. Un nombre important de propriétaires n’ont donc pas la capacité de financer des travaux de rénovation performante de leur logement. L’endettement lié au financement d’une voiture électrique peut également être bloquant pour les ménages modestes et des classes moyennes. Les taux d’endettement nécessaires sont élevés pour ces ménages : plus de 10 % pour une citadine standard neuve, et plus de 5% pour une citadine entrée de gamme neuve ou une voiture d’occasion.
4. On constate des disparités territoriales dans l’accès à la transition
Les aides distribuées par certaines collectivités locales permettent de diminuer le reste à charge de manière conséquente : certaines métropoles distribuent des aides à la rénovation qui peuvent atteindre 10 000 €. Côté mobilité, à peu près la moitié des métropoles situées dans des zones à faibles émissions (ZFE) distribuent des primes à la conversion locales, pour des montants allant de 3 000 à 6 000 €, et l’État accorde une surprime à la conversion de 10 000 € pour les ménages en ZFE, et jusqu’à 3 000 € en cas d’aide locale similaire.
L’accès à la transition pour les ménages dépend également de paramètres qui peuvent différer en fonction de la localisation des ménages. Côté rénovation, cela dépend notamment de la disponibilité d’artisans qualifiés et d’accompagnateurs pour les ménages. À l’heure actuelle, le nombre d’artisans total semble suffisant mais des tensions sont possibles au niveau local. Côté mobilité électrique, il y a besoin de bornes de recharge accessibles au public : leur nombre augmente, mais moins vite que celui des véhicules électriques en circulation, et le ratio du nombre de véhicules en circulation par borne varie d’un endroit à l’autre.
5. Des données manquent encore pour faire une évaluation exhaustive
Des données manquent à plusieurs niveaux pour évaluer de manière fine les conditions d’accès à la transition pour les ménages. Premièrement, aucune vision d’ensemble des dispositifs d’aides locaux n’est disponible, que ce soit sur e nombre de collectivités qui distribuent des aides à la rénovation ou à la mobilité, le nombre de ménages concernés, les montants des aides, les critères d’éligibilité ou encore les bénéficiaires effectifs.
Deuxièmement, seules des données partielles existent sur les bénéficiaires des différents dispositifs au niveau national. Des informations sont rendues publiques sur les bénéficiaires de certains dispositifs (la prime à la conversion, les aides de l’Anah – même si une catégorisation plus fine des bénéficiaires serait intéressante dans ce dernier cas), mais très peu sur d’autres (le bonus), voire pas du tout (la TVA à taux réduit, les CEE).
Enfin, nous n’avons pas trouvé d’indicateur de la qualité d’accès aux services via les transports en commun au niveau national.