Agriculture et l’alimentation : Comment poursuivre la dynamique climat dans le contexte de tension budgétaire ?
Des turbulences sont en vue du côté des financements publics de l’agriculture, alors que la séquence budgétaire s’ouvre et que les représentants agricoles menacent de reprendre la mobilisation. Pour éclairer ce débat, I4CE publie un état des lieux et une analyse environnementale des financements publics soutenant le secteur agricole, mais aussi les secteurs de l’industrie agroalimentaire, de la restauration et de la distribution.
D’après cette étude, 53,6 milliards d’euros de financements publics soutiennent notre agriculture et notre alimentation en 2024. Et contrairement à une idée reçue, tout ne vient pas de Bruxelles : les soutiens de l’État représentent 60 % du total, les collectivités territoriales 20 %. Ces soutiens agrègent les incitations, subventions, exonérations, investissements et dépenses de fonctionnement, de la fourche jusqu’à la fourchette.
Des progrès observés depuis 2018, à préserver dans le budget 2025
Bonne nouvelle : les financements publics favorables à la transition des secteurs agricole et alimentaire ont fortement progressé entre 2018 et 2024. Le budget de l’État est la principale source, et le secteur agricole le principal bénéficiaire de ces financements qui visent prioritairement la réduction des émissions de gaz à effet de serre (1 milliard d’euros), la réduction des pesticides (700 millions d’euros), un ensemble de pratiques agroécologiques et climatiques (600 millions d’euros) et la transition alimentaire (500 millions d’euros). Mauvaises nouvelles : ces financements favorables à la transition écologique représentent toujours moins de 10 % du total, et les lettres plafonds annonciatrices de coupes budgétaires dans la planification écologique risquent de stopper une dynamique jusque-là plutôt positive.
À court terme, ces financements de la planification écologique doivent être préservés, d’autant plus si l’acceptation d’autres options (fiscalité, réglementation) se révèle délicate par ailleurs. Mais vu d’une part les tensions budgétaires générales, et d’autre part l’importance de la transition écologique, il apparait incontournable de s’interroger sur des pistes pour mieux aligner les autres financements de l’agriculture et l’alimentation avec les objectifs environnementaux. Ci-dessous, un petit tour d’horizon de ces pistes. Aucune n’est simple, mais en explorer au moins certaines semble indispensable.
Des marges de manœuvre importantes dans le budget de l’État et des collectivités
Déjà explosive lors du dernier débat autour du projet de loi de finances 2024, la question des soutiens fiscaux aux énergies fossiles pourrait se poser à nouveau pour le budget 2025. Il s’agit de 3 milliards d’euros (1,6 pour le gazole agricole, et 1,4 pour le transport routier) de soutiens publics diamétralement opposés à la transition écologique. L’an dernier, la disparition progressive de ce soutien au gazole agricole avait été négociée par la profession contre d’autres exonérations fiscales, nouvelles ou renforcées, sans lien avec la décarbonation. In fine, la disparition de cette niche fiscale a été abandonnée, mais pas les contreparties négociées : il serait utile d’étudier des options satisfaisantes d’accompagnement rendant plus accessibles les alternatives décarbonées.
Ces soutiens aux énergies fossiles ne sont pas les seules exonérations de prélèvements dont bénéficient les entreprises du secteur de l’agriculture et de l’alimentation. Par exemple, le dispositif de titre restaurant est soutenu par 2,2 milliards d’euros d’exonérations fiscales et sociales, et la restauration commerciale bénéficie de 1,5 milliards d’euros de réduction spécifique de TVA. Quelques propositions d’altérations de ces financements en faveur de la transition écologique émergent, et gagneraient à être approfondies.
Comme celles des autres secteurs, les entreprises des secteurs agricoles et alimentaires bénéficient aussi de réductions de cotisations sociales généralistes (14 milliards d’euros). Ces exonérations sociales visant les bas salaires ont vocation à réduire le chômage des moins qualifiés et à améliorer la compétitivité des entreprises en baissant le coût du travail. Les montants croissants et conséquents de ces soutiens (80 milliards d’euros pour toute l’économie) incitent à ouvrir un débat sur la possibilité de les aligner avec les objectifs de transition écologique.
En dehors de l’État, les collectivités ont également des leviers en main. Toutes les collectivités ont d’abord des marges de manœuvre pour proposer des menus plus écologiques dans les cantines scolaires. Cette transition déjà amorcée nécessite souvent des investissements en formation et en matériel, mais les initiatives se multiplient partout sur le territoire. Outre la restauration scolaire, les Régions ont la main sur certaines aides de la PAC. L’une d’entre elles finance les investissements matériels dans les exploitations agricoles et les industries agro-alimentaires : il serait utile de se pencher sur les manières de mieux aligner ces financements avec les objectifs de transition écologique.
Même si des questions importantes se jouent toujours à Bruxelles
La dernière réforme de la PAC, en vigueur depuis 2023, a donné plus de pouvoir aux États : la France a d’ailleurs la possibilité en 2026 de modifier sa déclinaison nationale de la PAC. Malgré tout, beaucoup de questions importantes de financements se jouent encore à l’échelle européenne, notamment l’architecture globale des aides et les conditions à remplir pour les percevoir. La préparation du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne et de la prochaine PAC post-2027 seront des échéances clefs pour réhausser l’ambition environnementale de cette architecture et de ses conditionnalités. Ceci rejoint d’ailleurs les conclusions du dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE remis récemment à la présidente de la Commission européenne.
À l’échelle européenne comme à l’échelle française, verdir les financements publics tout en accompagnant les acteurs de la transition de manière juste est un défi qui ne se limite pas qu’à des enjeux de financement. En effet, les législateurs auront l’occasion de saisir tous les leviers disponibles, y compris extra-budgétaires (conditionnalités, réglementation), pour boucler cette délicate équation. Enfin, c’est aussi un défi de gouvernance, de confiance et de coopération entre les financeurs publics d’une part, et entre financeurs et les acteurs bénéficiaires d’autre part.