Peut-on encore concilier financement de la transition et équilibre des finances publiques ?

12 septembre 2024 - Billet d'analyse - Par : Hadrien HAINAUT

Alors que le nouveau gouvernement s’apprête à présenter au Parlement un budget pour 2025, les dépenses en faveur du climat sont en sursis. Dans ce billet, Hadrien Hainaut revient sur les conclusions d’une étude récente, qui évalue les besoins de financement public et les options pour les maitriser.  

 

Le budget de la France n’est pas encore présenté au Parlement que déjà les moyens accordés à la transition énergétique font les grands titres. Dans les « lettres-plafond » envoyées à différents Ministères, Bercy recommande des coupes dans plusieurs budgets dédiés à la transition, de la rénovation aux véhicules électriques en passant par la chaleur renouvelable (via l’ADEME et son Fonds Chaleur) ou encore les collectivités (le fonds vert). Certes, le nouveau gouvernement de plein exercice peut encore réviser ces coupes, mais elles en disent long sur la tension qui existe désormais entre réussir le financement de la transition et rétablir l’équilibre des finances publiques, au point qu’on peut se demander si les deux objectifs sont encore conciliables. Sur cette question, une étude parue en juillet apporte un éclairage utile.  

 

Disons-le d’emblée, nous pensons qu’en matière de financement de la transition, il existe plusieurs options qui méritent un débat démocratique. Dans cette étude d’I4CE, nous explorons un éventail de ces options. Ce qui les distingue, ce n’est pas tant le coût total pour la société que la part des dépenses mutualisées par les budgets publics, et plus généralement la façon de répartir les efforts entre les citoyens.  

 

Nous partons de deux raisonnements simples. D’une part, l’argent public répond à un besoin : financer les investissements climat là où ne vont pas spontanément les acteurs privés. D’autre part, les projets n’attireront des financements privés que s’ils sont rentables, sûrs ou tout simplement obligatoires. Les politiques publiques peuvent agir sur ces termes, et donc sur le besoin de financement public 

 

Imaginons d’abord ce que seraient les besoins de financement public si les termes de l’investissement privé ne changent pas. Concrètement, cela revient à imaginer les mêmes règles qu’aujourd’hui, la même fiscalité environnementale, les mêmes prix des énergies… Supposer que rien ne change n’est peut-être pas très réaliste, mais cela a le mérite de partir d’un constat que tout le monde peut faire aujourd’hui, sans faire de plans sur l’avenir. Ce serait aussi une façon de faire la « pause fiscale et réglementaire » en matière de climat. Dans ces conditions, pour atteindre nos objectifs, il faudrait généraliser les primes à l’investissement des ménages et des entreprises, augmenter les budgets d’entretien et de rénovation des bâtiments publics, subventionner davantage l’investissement ferroviaire ou encore la production d’énergies renouvelables. Au total, les dépenses publiques à budgéter augmenteraient d’environ 70 milliards d’euros par rapport à l’année 2024, dont une cinquantaine pour l’État.  

 

Pour bien en apprécier l’ampleur, il faut nuancer ces chiffres. Exprimés en euros courants, ils incorporent l’inflation anticipée à 2030 (à hauteur de 8,9%, en cumulé). On pourrait neutraliser cette inflation en considérant qu’elle viendrait augmenter d’autant les recettes publiques, mais ce rattrapage n’a rien d’automatique : les principales taxes et tarifs ne sont pas toujours indexés. En outre, ces besoins ne portent que sur les programmes budgétaires de la transition. Il pourrait y avoir, sur d’autres budgets publics, des économies en factures d’énergie tandis que certains soutiens pourraient être réorientés, par exemple de la construction vers la rénovation des logements. 

 

Cela dit, et même quelque peu nuancé, ce besoin de financement dépasse largement ce que les pouvoirs publics ont pu consacrer de plus à la transition au cours des dernières années. Ainsi, de 2019 à 2023, les dépenses de l’État en faveur du climat n’ont augmenté « que » de 11 milliards d’euros environ. Quant à la hausse de 10 milliards annoncée pour 2024, elle se substituait pour partie des dépenses précédentes, et a été partiellement gelée depuis. Surtout, les perspectives en matière de finances publiques ne sont pas encourageantes pour de nouvelles dépenses. Dans une note récemment parue, le Conseil d’analyse économique estime urgent – et d’intérêt pour tous les contribuables – d’engager graduellement une consolidation budgétaire de 4 points de PIB, soit de l’ordre de 100 milliards d’euros. Toute dépense supplémentaire, a fortiori de l’ampleur envisagée ici, requiert d’autant plus de réorientation ou de recettes nouvelles.  

 

Imaginons maintenant que pour minimiser le recours aux financements publics, on adopte des politiques qui changent en profondeur les termes de l’investissement privé. Le besoin de financement public additionnel pourrait être ramené à 40 milliards d’euros à l’horizon 2030, dont 20 pour l’État, ce qui est plus abordable à l’horizon 2030 et compte tenu des nuances exposées plus haut. Cependant, les politiques pour y parvenir sont drastiques. Par exemple, la rénovation des logements énergivores deviendrait obligatoire pour la plupart des ménages, à l’exception de plus modestes, sans être couverte par des subventions publiques. Le prix des billets de train continuerait de progresser pour financer la régénération du réseau ferroviaire. L’énergie serait plus chère pour soutenir, par le biais des certificats d’économies d’énergie, le financement de la rénovation des bâtiments publics, dont une part plus importante serait à la charge des collectivités. Enfin, les institutions financières se verraient contraintes de concéder des avantages de taux aux projets climat.  

 

On peut se demander si ces politiques, qui reportent les efforts de de financement vers les ménages rénovateurs, les entreprises en transition, les usagers des transports publics, les collectivités ou les épargnants, seraient acceptables par les citoyens dans leur ensemble. C’est peu probable au regard des attentes exprimées aujourd’hui en matière de transition.  

 

Y a-t-il d’autres voies que celles évoquées ici ? Nous en avons écarté deux. La première consisterait à maintenir diverses aides aux ménages et aux entreprises, tout en comprimant la dépense dans le domaine public, par exemple dans la rénovation des écoles ou des hôpitaux, par le biais de cessions ou de partenariats financiers dits « publics-privés ». Nous estimons que ces montages engendrent souvent des loyers qui, en fin de compte, reviennent plus cher qu’un financement entièrement public. Une autre option consisterait à recourir au signal-prix plutôt qu’à la norme, c’est-à-dire taxer plus fortement l’énergie et les émissions de CO2, pour pousser les investissements privés en faveur du climat tout en générant des recettes publiques. Or, si le signal-prix agit bien sur le comportement des entreprises, du moins celles capables d’anticiper leurs investissements, le différentiel de coût est répercuté aux consommateurs, par exemple sous forme de frais de transport ou de loyers. Surtout, il est peu anticipé par les ménages, et viendrait accroitre la différence de charges entre le « happy few » qui aura fait les investissements et les nombreux « prisonniers » qui n’ont pas encore l’occasion, ni tout simplement les moyens de le faire. Par exemple, et même en atteignant nos objectifs climat à l’horizon 2030, 80% des véhicules en service à cette date rouleront encore au pétrole et seront soumis à cette fiscalité.  

 

Entre dépenser beaucoup plus, et reporter drastiquement les efforts vers les ménages et les entreprises, il existe des options intermédiaires. Ainsi, certaines politiques qui vont dans le sens d’un plus grand effort de financement privé ont déjà été adoptées, mais ne sont pas encore déployées. Un premier pas serait de réussir leur mise en œuvre selon les calendriers prévus. Par exemple, interdire la location des passoires thermiques contraint les propriétaires bailleurs, souvent des ménages aisés, à financer des travaux qui bénéficient à leurs locataires. Le leasing social, annoncé pour 100 000 ménages en 2025, peut se substituer aux subventions qu’il aurait fallu verser pour qu’ils acquièrent les mêmes véhicules au comptant. Ces politiques, et d’autres pour lesquels des engagements ont été pris, ramèneraient le besoin de financement public supplémentaire à environ 60 milliards d’euros, dont 40 pour l’État. Mais ce premier pas dans la maitrise des besoins de financement public n’est pas encore acquis. Pour cela, les pouvoirs publics devront être en mesure de suivre et éventuellement de sanctionner efficacement les nouvelles réglementations.  

 

On conçoit mieux que devant de telles options, un débat sincère sur le financement des objectifs climat dans le contexte des finances publiques s’annonce difficile. Pour autant, il se doit d’être démocratique, car la question n’est pas tant de trouver l’instrument idéal, mais bien de répartir équitablement les efforts entre citoyens. 

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Hadrien HAINAUT
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