Législatives : deux voies pour le climat
La transition vers une France décarbonée n’est pas un chemin facile, et requiert des ménages une implication et des investissements à court terme. Cela peut nourrir un rejet de ces politiques. Face à la difficulté, faut-il faire machine arrière ou chercher une voie de passage suscitant une plus large adhésion ? Pour Benoît Leguet d’I4CE, c’est ce qui se joue dans la campagne pour les élections législatives, avec des partis qui font des propositions pour aider les classes moyennes et populaires à faire la transition, et d’autres qui sont tentés, en l’assumant ou non, de rejeter toute politique associée de près ou de loin au climat. Disons-le d’emblée : la deuxième voie est une impasse, dans laquelle les partis ne doivent pas s’engager.
Ça y est, nous sommes entrés dans le dur de la transition « climat ». Pour décarboner notre économie, et l’adapter à un climat qui change rapidement, il va falloir que les entreprises et les ménages s’équipent en véhicules électriques, plus chers à l’investissement ; que les propriétaires rénovent leurs logements ou bâtiments, même quand ces travaux n’apparaissent pas strictement nécessaires ; que les agriculteurs et plus largement le secteur agro-alimentaire modifient leurs pratiques… À terme, ces changements n’impliquent probablement pas de pertes de confort ou de revenu. Mais la transition nécessite de changer : d’habitudes, de choix de consommation, de modes de déplacement. Les conséquences sont connues : rognage du pouvoir d’achat, incapacité à financer les investissements nécessaires, crainte de perdre son emploi…
Les conséquences de l’action pour le climat ne suffisent pas à expliquer le résultat des élections européennes. Mais elles peuvent susciter un sentiment de déconnection entre ceux qui définissent les politiques publiques et ceux qui en subissent ou projettent les conséquences « dans la vraie vie », et générer un discours de rejet de l’ensemble de l’édifice d’incitations et de normes péniblement construit ces dernières années. Il faut l’entendre.
Tirer les leçons des Gilets jaunes
Deux réactions, deux voies possibles face aux difficultés se dessinent pour les décideurs, les partis politiques, et au final pour les électeurs. La seule voie souhaitable est pour nous d’accepter les difficultés, et de chercher à concilier fin du monde et fin du mois. L’autre voie est de voir l’économie et le climat comme deux objectifs irréconciliables, et de penser choisir l’un – l’économie – au détriment de l’autre. Pour le dire différemment, faire un refus d’obstacle.
Dans les deux programmes d’Ensemble et du Nouveau Front populaire figurent par exemple d’importantes mesures de soutien à la rénovation des logements, tournées vers les ménages modestes en particulier. Ces projets s’inscrivent dans la continuité d’outils créés ces dernières années comme Ma Prime Renov’ ou le leasing social pour les véhicules électriques.
La différence se joue sur l’ambition affichée et la quantité d’argent public nécessaire – un reste à charge nul pour les plus modestes revendiqué pour le Nouveau Front populaire là où Ensemble reste plus flou – et donc bien sûr sur l’équilibre général des comptes publics. Ensemble ne souhaite pas augmenter la fiscalité, et se trouve confronté à la question de savoir où trouver l’argent pour accompagner davantage – et jusqu’où accompagner ; le Nouveau Front populaire mise sur d’importants prélèvements fiscaux supplémentaires mais fait face à des critiques sur le bouclage budgétaire de son projet. Des différences très significatives donc, mais pas de refus d’obstacle.
L’impasse politique : faire un refus d’obstacle
La seconde voie possible est de rejeter les politiques associées de près ou de loin au climat ou à l’écologie, de manière plus ou moins assumée. Remise en cause du véhicule électrique ; remise en cause de l’obligation de rénovation des bâtiments ; remise en cause du déploiement des énergies renouvelables – biogaz, chaleur, électricité – en pariant sur une disponibilité rapide du nouveau nucléaire ; subvention directe à la consommation d’énergies fossiles via une baisse de la TVA sur les produits pétroliers…Rejeter les politiques climat semble aujourd’hui être la voie choisie par le Rassemblement national. Cette voie est un problème pour le climat, évidemment. C’est aussi une impasse.
Impasse pour notre sécurité d’approvisionnement énergétique : déployer la mobilité décarbonée, les énergies renouvelables et rénover les logements est en effet indispensable pour nous protéger des aléas sur les prix des énergies fossiles ; mais c’est aussi nécessaire pour assurer le bouclage énergétique de la France, ou dit autrement, nous mettre à l’abri des pénuries énergétiques, même en pariant par exemple sur l’arrivée rapide du nouveau nucléaire.
Impasse pour notre compétitivité industrielle, l’Europe ne pouvant abandonner la course aux technologies vertes aux États-Unis et à la Chine, ce qui serait désastreux en termes d’emplois.
Impasse pour notre souveraineté agricole, notre agriculture étant aujourd’hui doublement dépendante des énergies fossiles, pour l’énergie et les engrais.
Mais plus fondamentalement, rejeter les politiques climatiques est problématique pour les Français, et notamment les plus modestes, sur deux volets.
D’abord, la protection du pouvoir d’achat. La transition est en effet indispensable pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles et nous protéger des crises énergétiques à répétition. Le succès du leasing social en est d’ailleurs un témoin marquant, nombre de ménages modestes échaudés par les envolées des prix à la pompe ayant décidé de sauter le pas vers la mobilité électrique.
Ensuite, la protection des populations face aux aléas climatiques. Assumer que le climat est en train de changer, et qu’il faut intégrer dès à présent cette évidence dans nos politiques et nos choix d’investissements publics – même si cela coûte parfois plus cher à court terme – c’est protéger notre agriculture, nos infrastructures de transport, nos bâtiments, notre système de santé et in fine les Français des événements climatiques de demain et d’aujourd’hui.
Débattre des voies et moyens pour la transition
D’après les enquêtes, les Français – même les électeurs du Rassemblement national, et même les plus démunis – ne remettent pas en cause les finalités des politiques climatiques. Ils veulent en revanche être davantage considérés et associés à la définition des politiques publiques mises en œuvre pour atteindre les objectifs. Et ce d’autant plus que ces politiques les concernent directement. C’est donc un débat sur les moyens, pas sur la finalité, qui est attendu. Un débat sur le partage de l’effort et les politiques les plus justes pour faire la nécessaire transition.