Vagues de chaleur : ce que l’on peut dire des coûts de l’adaptation des bâtiments

Face aux conséquences grandissantes des vagues de chaleur sur les activités économiques et les populations, l’adaptation du secteur du bâtiment apparait désormais comme un nouvel impératif. Si la question du «xcommentx» a déjà fait l’objet de nombreux travaux, la question du « combien » reste pour le moment peu traitée. Pour avancer en ce sens, nous présentons dans ce rapport :

 

  • un premier état des lieux de ce que l’on sait dire à date des coûts de l’adaptation aux vagues de chaleur pour le secteur du bâtiment ;
  • la méthodologie que nous avons utilisée pour chiffrer les surcoûts de l’adaptation aux vagues de chaleur, construite à partir des éléments disponibles et de discussions avec des experts.

 

Ce travail d’analyse nous permet de tirer sept leçons et une recommandation :

 

➊ L’absence d’un cadre commun partagé et consensuel est un des principaux freins évoqués par les acteurs de la filière qui souhaitent se lancer dans une démarche d’adaptation. S’ils sont de plus en plus nombreux à identifier le confort d’été comme un enjeu majeur, les acteurs du  secteur ne disposent pour le moment ni des fichiers météos standardisés et alignés avec la Trajectoire de Réchauffement de Référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC) ni de référentiel technique, cahier des charges ou processus de labellisation pour l’adaptation.

 

Recommandation

Mettre en place et animer des groupes de travail pour élaborer un cadre commun de référence pour l’adaptation au changement climatique des bâtiments existants. À l’image des travaux CAP2030 en cours qui préfigurent la prochaine réglementation de la construction neuve.

 

> Construire ce cadre commun de référence apparait comme la prochaine étape clé pour l’adaptation des bâtiments aux vagues de chaleur.

 

➋ Les épisodes récents montrent que les bâtiments se révèlent peu adaptés ce qui entraîne déjà des conséquences élevées et amenées à croître si rien n’est fait. Les vagues de chaleur n’endommagent pas directement le bâtiment, elles ont en revanche un impact sur les activités économiques et la santé des personnes qui vivent, étudient ou travaillent en intérieur. Ces conséquences sont déjà élevées : à l’échelle européenne, on enregistre des pertes de productivité comprises entre 0,3 et 0,5 % du PIB les années de fortes chaleurs, bien que l’on ne sache pas déterminer précisément la part de ces conséquences attribuable aux bâtiments. En France, entre 2015 et 2020, les impacts sanitaires ont été estimés entre 22 et 37 milliards d’euros. À mesure que le climat va se réchauffer, l’exposition du parc de bâtiments va s’accroître. Dès 2°C de réchauffement (2030 selon la TRACC) près de la moitié des bâtiments sera déjà fortement ou très fortement exposée, cette proportion atteindra la quasi-totalité du parc à +4°C. Les zones urbaines denses seront particulièrement touchées et des villes encore peu exposées aujourd’hui risquent de le devenir très fortement. Si rien n’est fait pour s’y adapter, les conséquences économiques et sanitaires des vagues de chaleur augmenteront aussi. À l’échelle européenne, elles pourraient atteindre plusieurs points de PIB en fin de siècle dans les pays les plus exposés et engendrer 30 fois plus de décès qu’actuellement.

 

➌ La réponse tendancielle face à l’évolution de ce phénomène : s’équiper en climatisation. C’est le geste réactif que l’on retrouve dans la plupart des cas et qui représente déjà des investissements que nous estimons autour de 3,5 milliards d’euros chaque année pour le logement. Si ce rythme se maintient, la quasi-totalité du parc pourrait être équipée d’ici 2050. Souvent qualifié de maladaptation, le déploiement massif de la climatisation questionne au regard des externalités générées : consommation électrique accrue, émissions de gaz à effet de serre et surtout une augmentation de la température extérieure en zone urbaine qui pourrait atteindre plusieurs degrés.

 

➍ D’autres solutions d’adaptation sont disponibles et peuvent s’intégrer dans les dynamiques de planification existantes. Ces solutions sont bien documentées et pour la plupart mutualisables avec les opérations prévues. En construction neuve, il s’agit d’aller au-delà de la réglementation car celle-ci ne tient pas encore compte des projections climatiques. Pour le parc existant, Il s’agit d’intégrer l’adaptation dans la politique de rénovation énergétique qui prévoit de rénover la grande majorité du parc à horizon 2050 (Stratégie nationale bas carbone – SNBC). En commençant par réorienter les investissements vers les rénovations globales, les plus efficaces pour le confort d’été et pour lesquelles il manque encore près de 27 milliards d’euros par an pour atteindre les objectifs. Cet effort pour l’adaptation représente un surcoût, que nous avons estimé dans cette étude entre 2 et 5 % pour la construction neuve et 10 % pour la rénovation par rapport à des opérations sans adaptation. Cela représenterait des besoins additionnels par rapport aux besoins d’investissement publics et privées nécessaires à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone de 1 à 2,5 milliards pour la construction neuve et 4,8 milliards d’euros pour la rénovation.

 

 

➎ Ces investissements additionnels pourraient se révéler insuffisants à partir d’un certain niveau de réchauffement climatique. Peu d’études prospectives existent à ce jour. Néanmoins les premiers éléments disponibles montrent que pour certaines zones climatiques (notamment le pourtour méditerranéen), il va devenir de plus en plus difficile de se passer de la climatisation à partir de la moitié du siècle (+2,7°C). En revanche, ces études s’accordent sur l’efficacité des solutions d’adaptation et invitent à adopter une approche séquencée, c’est-à-dire en agissant d’abord sur les autres leviers avant de se poser la question de la climatisation.

 

➏ L’adaptation aux vagues de chaleur ne se limitera pas à une somme de travaux réalisés sur les bâtiments, car les solutions d’adaptation ne sont efficaces que si elles sont utilisées correctement. À ce titre, le niveau de sensibilisation et le comportement des usagers sont fondamentaux. Plus largement, c’est bien une approche systémique et intégrée qui permettra de garantir la résilience des activités économiques et des populations face aux vagues de chaleur. À l’échelle de la ville, la politique territoriale doit être cohérente avec les enjeux d’adaptation et accorder de l’importance à la qualité du tissu social qui permet d’éviter les situations d’isolement. Elle doit également s’assurer de la robustesse du système de santé et des services de secours qui contribuent à limiter les conséquences sanitaires des canicules. Enfin, pour les acteurs économiques et les services publics, d’autres initiatives peuvent être entreprises face aux fortes chaleurs comme la mise en place de points d’eau ou d’horaires de travail décalés.

 

➐ Des travaux de recherche complémentaires sont nécessaires pour affiner la compréhension des besoins économiques pour l’adaptation des bâtiments. Il s’agit par exemple d’améliorer la connaissance sur les conséquences d’une perturbation ou de la fermeture d’un service public essentiel en période de fortes chaleurs ; de mieux déterminer l’efficacité et les limites des solutions d’adaptation à l’échelle du parc et d’affiner les connaissances relatives à leur coût. Des exercices de ce type ont été réalisés à l’étranger et pourraient être reproduits en France par les experts de la filière.

 

 

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Guillaume DOLQUES
Guillaume DOLQUES
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Dr. Vivian DEPOUES
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