Leasing social des véhicules électriques, un démarrage à petite vitesse 

14 décembre 2023 - Billet d'analyse - Par : Charlotte VAILLES

Le leasing social de véhicules électriques, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, vient de voir le jour. Ce dispositif est ciblé vers les 50 % environ des ménages les moins aisés qui utilisent beaucoup leur voiture – qui roulent plus de 8 000 km par an dans le cadre de leur activité professionnelle avec leur véhicule personnel ou qui travaillent à plus de 15 km de leur domicile – et consiste à leur mettre à disposition un véhicule électrique pour un loyer modéré, de l’ordre de 100 euros par mois. Le leasing social permettra donc de lever la barrière à l’investissement, frein principal à la mobilité électrique pour les ménages modestes et les classes moyennes. Mais ce dispositif, qui ne concernerait en 2024 que 20 000 ménages environ, devra prendre de l’ampleur pour pouvoir réellement avoir un impact. Le coût de sa montée en puissance pour les finances publiques pourrait être compensé par un durcissement du malus, ce qui faciliterait également l’atteinte des objectifs climatiques. Enfin, pour garantir l’accès de tous à la mobilité électrique, le leasing social devra être accompagné du développement des bornes de recharge publiques et de tarifs raisonnables de recharge.

 

Le leasing social permettra de lever le frein à l’investissement dans la mobilité électrique pour les ménages modestes et les classes moyennes  

Comme nous l’écrivions dans notre dernier rapport sur l’accessibilité de la transition, l’achat d’un véhicule électrique neuf pose un problème de trésorerie pour les ménages modestes et des classes moyennes, avec un reste à charge pour une voiture et une borne de recharge qui se compte en dizaines de milliers d’euros.  

 

Les ménages des classes moyennes et modestes achètent principalement des véhicules d’occasion mais il y a aujourd’hui un problème de disponibilité des véhicules électriques d’occasion. Malgré la forte hausse des ventes des véhicules électriques de ces dernières années, il y a, d’après le dernier baromètre de l’Avere-France, actuellement moins d’un million de véhicules électriques en circulation, sur un total de presque 40 millions de véhicules. Ceci se traduit par une part très faible (de l’ordre de 1%) des véhicules électriques dans les ventes de voitures d’occasion. Par conséquent, il est justifié de mettre en place des dispositifs pour permettre aux ménages modestes et aux classes moyennes d’accéder à des véhicules électriques neufs, afin de les protéger durablement de futures hausses du prix de l’essence et éviter des dépenses publiques de type « bouclier tarifaire ». Selon un rapport d’information du Sénat datant de juin 2023, les dépenses publiques destinées à protéger les consommateurs de la hausse du prix des carburants ont atteint 7,7 milliards d’euros en 2022.  

 

Des offres de leasing, qui permettent de lisser l’investissement, existent déjà, mais avec les offres actuelles, soit l’apport initial demandé au ménage se compte en milliers d’euros, soit les loyers mensuels sont trop élevés pour être compensés par les économies d’énergie. Certains modèles électriques sont déjà proposés en leasing pour moins de 100 euros par mois (par exemple la Renault Twingo, la ë-C3, la Fiat 500, la MG4, la Dacia Spring…), mais pour les ménages n’ayant droit qu’au bonus de 5 000 € et n’ayant pas de véhicule éligible à la prime à la conversion, l’apport initial représente entre 2 500 et 4 500 euros. 

 

Avec le leasing social, l’apport initial sera entièrement couvert par les aides, et les loyers limités à environ 100 euros par mois pour une citadine, ce qui permettrait aux ménages de les financer grâce aux économies de carburant. Pour un ménage qui roule 13 000 km/an, nous avons estimé en effet les économies de carburant à 130 euros par mois environ. Par conséquent, le leasing social permettra de lever les freins à l’investissement dans l’électrique pour les ménages bénéficiaires, tout en baissant leur budget mobilité. À noter que ce résultat n’est vrai que pour des ménages qui roulent plus de 10 000 km/an environ – à titre de comparaison, le kilométrage moyen annuel d’une voiture en France était de 12 200 km en 2019  

 

Le développement de ce dispositif devra s’accompagner d’un renforcement du malus, pour accélérer la transition vers la mobilité électrique tout en limitant l’impact pour les finances publiques 

Le volume de véhicules proposés en 2024, et donc de ménages bénéficiaires, devrait être très limité : environ 20 000 seulement, d’après les informations relayées par la presse. À titre de comparaison, environ 14,6 millions de ménages sont dans les cinq premiers déciles de revenus, et parmi eux 10,3 millions de ménages possèdent au moins une voiture (Enquête mobilité des personnes 2019). 

 

Pour les ménages éligibles, l’État complétera le bonus, de manière à atteindre une aide totale allant jusqu’à 13 000 euros par véhicule, afin de couvrir le premier loyer. Ce montant correspond au montant total d’aides actuelles (incluant la prime à la conversion) auxquels ont droit les ménages des deux premiers déciles, ou les ménages jusqu’au cinquième décile qui travaillent à plus de 30 km de leur domicile ou parcourent plus de 12 000 km par an dans le cadre de leur activité professionnelle avec leur véhicule personnel. Via le dispositif de leasing, ce montant maximal d’aides sera donc être étendu à davantage de ménages, tout en ne nécessitant pas la mise au rebut d’un vieux véhicule pour en profiter.   

 

Au total pour 2024, et en se basant sur une hypothèse de 20 000 véhicules, la mise en place du leasing social devrait représenter au maximum 260 millions d’euros de dépenses publiques, sur un montant total de 1,5 milliard prévu dans le projet de loi de finances 2024 pour les aides aux véhicules propres – celles-ci incluent également le bonus, la prime à la conversion et des aides pour les véhicules lourds électriques. Une étude de l’Iddri et de T&E estime à 130 000 le nombre de ménages qui pourraient annuellement bénéficier d’un dispositif de leasing social, en croisant des données sur le revenu des ménages et sur les propriétaires de véhicules Crit’air 2 ou plus avec des hypothèses de taux de recours. Sur la base de ce chiffre, et en gardant l’hypothèse d’un soutien de l’État de 13 000 euros par véhicule, la montée en puissance du leasing social pourrait représenter un coût de 1,7 Mds d’euros par an pour les finances publiques.  

 

Pour limiter l’impact pour les finances publiques, la mise en place du leasing social pourrait être couplée à un renforcement du malus. En 2023, les recettes du malus sont estimées à 600 millions d’euros pour le malus CO2 et 27 millions d’euros pour le malus masse, d’après le rapport d’évaluation du Sénat sur le projet de loi de finances 2024. Ce même rapport estime que le durcissement des barèmes pour 2024 conduirait à une augmentation des recettes de 200 millions d’euros. Cette évolution va dans le bon sens, mais les barèmes ne sont pas encore à la hauteur de ce qui avait été proposé dans un rapport d’I4CE de 2021. Ce rapport soulignait la nécessité de durcir significativement les montants du malus et d’en rehausser les plafonds afin de respecter la trajectoire de réduction d’émissions de la SNBC, et estimait à 3-4 Mds d’euros par an de recettes pour les finances publiques l’effet net du bonus-malus avec les barèmes proposés.   

 

Rendre les véhicules électriques véritablement accessibles nécessitera de développer davantage les bornes de recharge publiques, avec des tarifs raisonnables 

Lever la barrière de l’investissement dans les véhicules électriques est une très bonne chose, mais d’autres freins sont à lever pour rendre les véhicules électriques véritablement accessibles, en particulier l’accès à une borne de recharge au quotidien. La plupart des recharges (80% d’après des enquêtes citées par UFC Que choisir dans une étude parue en novembre 2023) se font à domicile, mais pour les ménages résidant en logement collectif, l’installation d’une borne de recharge ou d’une prise renforcée peut être complexe s’il n’y a pas de parking. Dans ce cas, la recharge doit se faire dans des bornes d’accès public, ce qui contraint l’usage de la voiture électrique. Le déploiement des bornes accessibles au public progresse (quasiment 110 000 à fin septembre 2023 d’après le dernier Baromètre national des infrastructures de recharge ouvertes au public) et le ratio entre le nombre de bornes de recharge et le nombre de véhicules électriques est plus haut en France que dans d’autres pays où les véhicules électriques représentent une part de marché plus importante. Deux bémols toutefois : d’une part, les points de recharge rapide sont davantage à développer et d’autre part, des alertes ont été émises par l’étude d’UFC-Que choisir au sujet de la variabilité des tarifs entre les différents opérateurs des bornes de recharge, le manque de lisibilité de ces tarifs pour les utilisateurs, et les tarifs très hauts parfois pratiqués. Dans ces conditions, les économies de carburant sont potentiellement moins avantageuses pour les ménages.  

Contacts I4CE
Charlotte VAILLES
Charlotte VAILLES
Chercheuse – Financement de la transition juste Email
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