Adaptation : inscrire la trajectoire de référence dans la loi
L’annonce de la définition d’une trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) est une bonne nouvelle. Il est en effet urgent que les acteurs, publics comme privés, se posent la question de la résilience de leurs investissements et activités dans un climat qui change, y compris si l’objectif de limiter le réchauffement sous les +2°C au niveau mondial – objectif qui doit rester prioritaire – n’est pas atteint. Aller plus loin que son inscription dans le seul PNACC sera néanmoins nécessaire si l’on veut que les acteurs s’en emparent rapidement et que plus 1€ ne soit dépensé pour des actifs non adaptés au changement climatique. Il faut dès à présent s’assurer de la portée transversale et normative de la TRACC, en en faisant un objet interministériel et en l’inscrivant dans une loi. Puis décliner les exigences de mise en œuvre par acteur et secteur de manière progressive et graduée.
Depuis quelques mois, l’adaptation de la France aux impacts du changement climatique n’est (enfin) plus un tabou. Les élus, citoyens et acteurs économiques commencent à s’accorder : adapter nos territoires aux impacts du changement climatique n’est plus optionnel. Il faut aujourd’hui à la fois « éviter l’ingérable » en nous mettant sur une trajectoire de réchauffement sous les +2°C grâce aux actions d’atténuation, et « gérer l’inévitable » en se préparant dès aujourd’hui au climat de demain. Car les impacts du changement climatique sont déjà là – l’été 2022 en a témoigné – et continueront à augmenter dans tous les cas pour au moins les 20 prochaines années. Il faut également anticiper le cas où les actions mises en place au niveau mondial ne seraient pas suffisantes, et nous amèneraient à un réchauffement mondial supérieur à +2°C.
L’annonce d’une trajectoire de réchauffement de référence va dans le bon sens
Le gouvernement a lancé en mai une concertation sur la définition d’une trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC). Au-delà de la forme des questions posées dans cette concertation, l’annonce de la définition d’une trajectoire de référence est de notre point de vue une bonne nouvelle. La TRACC devrait être basée sur une hypothèse de réchauffement atteignant +3°C au niveau mondial et donc environ +4°C en moyenne pour la France métropolitaine à l’horizon 2100. Cela permettra de doter l’ensemble des acteurs français d’une référence commune pour anticiper et prévenir les risques dans le cas où l’objectif de limiter le réchauffement climatique sous les +2°C au niveau mondial ne serait pas atteint.
Plusieurs critiques peuvent être émises à l’égard de cette proposition. La principale tient au niveau de réchauffement final retenu pour cette trajectoire : +4°C à 2100 en France correspond à la trajectoire sur laquelle nous sommes si l’ensemble des mesures annoncées par les États à ce jour sont mises en œuvre. Il s’agit donc plus d’une trajectoire réaliste que pessimiste. Il serait pertinent d’analyser la résilience également à l’aune d’une hypothèse de réchauffement plus pessimiste qui, sans être souhaitable, reste plausible. Le Conseil national de la transition écologique recommande ainsi de « définir les activités pour lesquelles un niveau de réchauffement supérieur d’ici la fin du siècle devrait être anticipé ». Dans cette logique, il serait pertinent de définir un éventail de trajectoires de référence, pour que les projets soient conçus de manière à être résilients dans un large panel de futurs possibles. Cela afin que les acteurs intègrent que le changement climatique nous fait entrer dans un contexte inédit, profondément imprévisible, sur lequel les méthodes de prévision déterministes perdent prises.
Malgré ces critiques légitimes, nous sommes convaincus que la démarche en cours va dans le bon sens, qu’elle doit être soutenue et qu’il faudra aller plus loin. L’ensemble des acteurs publics et privés doit rapidement se mettre à anticiper et prévenir les risques économiques et sociaux liés aux impacts du changement climatique. Or jusqu’à présent les politiques, projets, investissements sont conçus comme si le climat ne changeait pas, c’est-à-dire sur la base de données climatiques historiques. En l’absence de trajectoire de référence, la tendance n’est pas à changer de mode de décision pour faire avec l’incertitude, mais d’ignorer les projections et de faire comme si le climat passé restait l’hypothèse la moins mauvaise, alors qu’elle est totalement obsolète. Se doter d’une trajectoire de réchauffement de référence devrait contribuer à passer d’une logique toujours réactive face aux impacts climatiques à une logique enfin proactive qui travaille à réduire les vulnérabilités.
Il faut dès à présent s’assurer de la portée transversale et normative de la TRACC.
Si l’approche retenue va dans le bon sens, il nous semble que l’essai doit être transformé en s’assurant que la TRACC devienne bien le vecteur d’une politique d’adaptation transversale et engageante.
Il est pour le moment prévu que la trajectoire de référence soit inscrite dans la troisième version du plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Or le PNACC n’est jusqu’ici pas adopté par décret – contrairement à la stratégie nationale bas-carbone et à la programmation pluriannuelle de l’énergie, et il ne présente pas de caractère contraignant. Un avis du Conseil d’État de 2021 parle de « faible normativité du PNACC et d’absence d’effets juridiques ». Et de fait, très peu nombreuses sont les personnes connaissant même l’existence de ce plan, qu’il s’agisse des élus locaux et parlementaires, des acteurs économiques et des citoyens. En l’état actuel, il semble donc peu probable que l’inscription d’une trajectoire de réchauffement de référence dans ce document suffise à inciter les acteurs à se poser la question de leurs vulnérabilités au changement climatique et aux mesures d’adaptation à mettre en œuvre.
Deux conditions sont donc à réunir pour aller plus loin :
1.S’assurer que la proposition mise sur la table de manière volontariste par le ministre de la transition écologique soit endossée de façon plus transversale par les autres ministères concernés, au premier rang desquels le ministère de l’Économie et des Finances, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Intérieur et celui de la Santé. En effet, l’adaptation aux conséquences du changement climatique est un enjeu de développement économique, d’aménagement du territoire, de sécurité ou encore de politique sociale. Ces ministères doivent donc également se sentir redevables du contenu du PNACC et de l’analyse des politiques et investissements à l’aune de la TRACC. Il y aurait donc tout intérêt à ce que les grandes orientations, comme pour les autres sujets de planification écologique, soient données directement par la Première ministre.
2. Inscrire la trajectoire de réchauffement de référence dans la loi. De la même manière, pour faire de la TRACC un élément de politique transversale, une base commune à tous pour ensuite enclencher des processus sectoriels, il faut que cette trajectoire soit inscrite dans une loi transversale. Par exemple dans la loi de programmation Énergie-Climat (LPEC) qui sera présentée cet été. Cela permettrait à la fois d’assurer cette transversalité et de conférer à la trajectoire une valeur juridique plus forte. Sans cela, il n’est pas assuré que tous les processus sectoriels requis seront enclenchés. Et pour ceux qui seront enclenchés, ne pas avoir de cadre législatif commun fait peser le risque d’incohérences entre politiques sectorielles.
Plusieurs manières d’inscrire la TRACC dans la loi peuvent s’envisager, à divers degrés d’ambition. Cela pourrait à minima prendre la forme d’une mention symbolique faisant référence au principe de la TRACC pour enfin faire de l’adaptation un objectif partagé par tous. Une exigence de rapportage des acteurs publics et économiques sur la réalisation d’analyses de vulnérabilité et de plans d’adaptation pourrait également être prévue. Le gouvernement français pourrait s’inspirer de l’initiative prise en ce sens par le Royaume-Uni en 2008 vis-à-vis des grands opérateurs de services publics. Cela pourrait aussi aller plus loin en prévoyant la définition de conditions précises d’utilisation de cette trajectoire. Par exemple en établissant une liste des référentiels ou des normes à mettre à jour comme la règlementation thermique des bâtiments ou les plans de prévention des risques avec un calendrier associé.
Avant de décliner les exigences de mise en œuvre par acteur ou secteur de manière progressive et graduée
Inscrire la TRACC dans une loi ne suffira bien entendu pas en soi. Il faudra ensuite réfléchir aux processus à mettre en place pour que chaque acteur, dans tous les secteurs, soit incité à s’adapter aux conséquences du changement climatique et dispose des connaissances et moyens pour le faire. Dans un premier temps pour s’assurer que les acteurs concernés, publics et privés, analysent systématiquement les conséquences du changement climatique pour leurs activités. Puis qu’ils débattent du niveau de risque acceptable, avant de progressivement rehausser leur niveau de préparation en mettant en œuvre les mesures d’adaptation adéquates.
Ces processus et les meilleures modalités de mise en œuvre pour chaque secteur devront être discutés au sein de chaque politique sectorielle. Une montée en puissance progressive des exigences d’adaptation pourrait être imaginée pour tenir compte des différences de maturité entre secteurs ou pour reconnaitre que certains domaines sont plus critiques que d’autres.
Des exigences d’adaptation pourraient être imposés rapidement à certains acteurs qui sont déjà mûrs sur le sujet ou dont l’activité est critique, par exemple les gestionnaires de réseaux. La prise en compte de l’adaptation dans le secteur du bâtiment devrait également être accélérée dès aujourd’hui afin de ne pas faire grossir le stock d’actifs qu’il faudra adapter au climat futur dans quelques années. Cela pourrait se faire via le levier de la commande publique dans un premier temps pour faire monter en compétences la filière, avant de mettre à jour les référentiels pour tous. Ces deux secteurs sont également ceux pour lesquels les dépenses de l’État seront importantes dans les prochaines années, notamment pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une exemplarité de l’État dans l’analyse de ses dépenses à l’aune de l’adaptation au changement climatique serait bienvenue, à la fois pour lancer une dynamique et pour des enjeux d’efficacité de la dépense publique.
D’autres acteurs auront besoin de quelques années pour passer à une mise en œuvre systématique. Par exemple, la plupart des collectivités locales doivent d’abord être sensibilisées et monter en connaissances. Définir dès maintenant que ces exigences les concerneront d’ici quelques années permettra d’amener ces acteurs moins mûrs à monter progressivement en compétences.
Les secteurs et acteurs cités ne sont que des exemples. Nous espérons que les prochains mois verront naître un débat sur les modalités d’accélération de l’adaptation dans tous les secteurs et pour tous les acteurs. En parallèle de ces processus, il sera enfin indispensable de bien évaluer les besoins d’accompagnement de ceux qui sont moins avancés ou moins bien dotés pour qu’ils puissent aussi tirer toutes les implications d’une trajectoire de réchauffement de référence et mieux se préparer.
Ces propositions sont de premières ébauches de réflexion pour discussion. Elles visent à faire émerger un débat public sur la manière d’instaurer en France un « réflexe adaptation », c’est-à-dire le réflexe de concevoir investissements et politiques en prenant en compte les fortes incertitudes de nos conditions climatiques futures. Vus les impacts du changement climatique déjà observés en France et qui continuent de s’accentuer, les discussions ne devraient plus porter sur la pertinence de parler d’adaptation mais sur les modalités de mise en œuvre d’une politique d’adaptation ambitieuse.