Réformer le financement du développement pour permettre la transition vers le développement durable

15 juin 2023 - Billet d'analyse - Par : Diana CÁRDENAS MONAR / Alice PAUTHIER / Claire ESCHALIER / Élise DUFIEF / Henri WAISMAN

Trois ingrédients pour une approche axée sur la demande

Ce billet a été menés par I4CE et l’Iddri. 

 

La communauté internationale partage le constat que l’architecture du financement du développement mondial n’est plus adaptée. La Banque mondiale, le FMI et d’autres institutions du système élargi de financement du développement sont aujourd’hui invités à investir davantage dans les biens mondiaux (notamment pour lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité). Toutefois, leur structure interne et les paradigmes sur lesquels ils fondent leurs décisions n’ont pas changé depuis qu’ils ont été créés, avec le développement – notamment la pauvreté et la stabilité macroéconomique – comme mandat principal. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la réponse de ces institutions internationales reste insuffisante en termes de volume, de structure et d’accessibilité.

 

Trois insuffisances majeures dans le financement du développement international

Premièrement, les volumes de financement du développement sont insuffisants pour répondre aux besoins mondiaux, comme en témoigne le déficit croissant de financement des Objectifs de développement durable (ODD), estimé à 2 500 milliards de dollars par an avant la pandémie de Covid-19 et qui a atteint au moins 4 200 milliards de dollars depuis lors, selon l’OCDE.

 

Deuxièmement, le financement du développement ne va souvent pas là où il est le plus nécessaire pour le développement durable. En particulier, la majorité de ces ressources publiques internationales est consacrée à des projets d’atténuation du changement climatique. Or elles seraient absolument nécessaires pour débloquer les projets d’adaptation et pour faire face à l’augmentation des pertes et des dommages liés aux impacts du changement climatique dans les économies en développement, qui restent difficiles à financer. Parmi les projets d’atténuation, les institutions de financement du développement ont tendance à continuer à se concentrer principalement sur des projets « rentables » (au sens où l’entend le secteur privé, qui se concentre sur les rendements économiques), tels que les énergies renouvelables dans la production d’électricité, au lieu de soutenir également d’autres secteurs sont tout aussi importants mais plus difficiles à financer dans le contexte d’un pays spécifique, par exemple l’agriculture, l’usage des terres et la déforestation, ou l’efficacité énergétique des ménages.

 

Enfin, le financement du développement reste difficile d’accès pour certains pays (en partie en raison de paiements d’intérêts élevés et d’une perception des risques dépassée) et souvent fourni par le biais de prêts qui contribuent à alourdir le fardeau de la dette des pays en développement et à limiter leur marge de manœuvre budgétaire pour répondre aux priorités en matière de climat et de développement. En 2021, 88 % des financements de la Banque mondiale étaient des prêts, tandis que, selon le FMI, 19 des 35 pays africains à faible revenu étaient déjà en situation de surendettement ou confrontés à des risques élevés en 2022.

 

Ce diagnostic devrait servir de guide au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui se tiendra à Pris (22-23 juin), qui vise à « construire un nouveau consensus pour un système financier international plus inclusif ». Il souligne notamment la nécessité d’adopter une approche axée sur la demande, soit une approche centrée sur les besoins des pays bénéficiaires pour leurs transformations structurelles nécessaires à une transition vers le développement durable.

 

Les travaux menés par I4CE et l’Iddri au cours des dernières années sur la manière de financer la transition dans différents pays en développement ont mis en évidence la pertinence d’une telle approche, et permis d’identifier trois recommandations clés : i) utiliser des approches intégrées pilotées par les pays, ii) adopter une perspective à long terme, et iii) adopter une perspective systémique/à l’échelle de l’économie de la transition durable.

 

Utiliser des approches intégrées pilotées par les pays

Aujourd’hui, le financement du développement durable est guidé par une vision cloisonnée qui différencie financement du développement, financement du climat – et, en son sein, financement de l’atténuation, financement de l’adaptation et financement des pertes et dommages –, financement de la réduction des risques de catastrophes et, plus récemment, financement de la biodiversité. Mais cette différenciation est artificielle, car le développement, le climat, les risques et la biodiversité sont tous liés de manière spécifique au contexte de chaque pays. Par conséquent, seule une approche intégrée fondée sur les spécificités de chaque pays peut aider à identifier les conditions permettant de maximiser les synergies et de limiter les arbitrages entre ces dimensions. Il est donc essentiel que les pays définissent leurs trajectoires spécifiques pour combiner au mieux ces objectifs en tenant compte des circonstances nationales actuelles, tout en contribuant à des ambitions communes. Ces trajectoires peuvent conduire à des besoins et des priorités différents (instruments de financement). Par exemple, l’accès à l’énergie durable dans les pays en développement est étroitement lié au développement (comme condition pour bénéficier de services énergétiques pour les besoins de base), à l’atténuation (comme moyen de permettre des usages à faible teneur en carbone) et à l’adaptation (comme moyen, par exemple, de fournir une irrigation efficace pour la production agricole et donc de réduire la vulnérabilité aux risques climatiques) ; ce n’est qu’en considérant la combinaison de ces dimensions dans les circonstances spécifiques du pays qu’une stratégie de financement adéquate pour l’accès à l’énergie propre peut être élaborée. 

 

Adopter une perspective de transition à long terme

Alors que l’horizon temporel du financement du développement tend à être plus long que celui du reste du système financier, les institutions de financement du développement ne développent pas une utilisation efficace et automatique des outils de référence qui leur permettraient de prendre en considération la transition des pays sur le long terme. Cela nécessite de définir des objectifs clairs à long terme et de faire des prévisions en fonction pour définir les changements qui doivent se produire à différents horizons temporels pour atteindre ce point dans l’avenir à partir de la situation actuelle. Cette approche dite de backcasting peut conduire à des priorités très différentes de l’approche conventionnelle qui se concentre sur les options qui maximisent les réductions d’émissions à court terme et à moindre coût. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’investissements dans des infrastructures confrontées à une forte inertie, telles que les transports, les bâtiments et les infrastructures urbaines. Des transformations radicales à long terme en faveur des transports publics, de bâtiments plus efficaces ou de villes mieux organisées peuvent certainement aligner les objectifs en matière de développement et de climat, mais ces avantages ne sont pas nécessairement visibles dans le cadre d’une approche prévisionnelle tenant compte des effets à court terme.

 

Favoriser des transformations systémiques, à l’échelle de l’économie

Enfin, le développement durable nécessitant des changements systémiques, comme le soulignent les récents rapports du GIEC, la priorité devrait être donnée au soutien des changements « à l’échelle de l’économie dans son ensemble », en opposition à l’approche historique projet par projet adoptée de manière conventionnelle dans le financement du développement. Stéphane Hallegatte, conseiller principal en matière de changement climatique à la Banque mondiale, souligne que « nous ne pouvons plus nous contenter d’investissements isolés et devons envisager des stratégies intégrées dans lesquelles chaque secteur joue un rôle ». Récemment, des exemples de soutien à la transformation d’un secteur sont apparus, avec les partenariats pour une transition énergétique juste (JETPs en anglais). Trois JETPs ont été lancés pour soutenir la transition du secteur de l’énergie en Afrique du Sud, en Indonésie et au Viêtnam. Ces mécanismes représentent un grand pas en avant vers des actions plus transformatrices au niveau sectoriel. Mais le financement du développement doit aller plus loin et concevoir des activités de financement en vue de transformer l’économie dans son ensemble – et pas seulement secteur par secteur. Il s’agit là d’un élément clé pour s’assurer que le financement du développement est affecté aux secteurs qui en ont le plus besoin. Un engagement avec les pays sera nécessaire pour définir ces priorités, identifier les canaux de financement les plus adaptés (des prêts concessionnels aux garanties visant à mobiliser le secteur privé, par exemple) et coordonner les efforts entre les acteurs du financement du développement. Des outils peuvent soutenir cette discussion. Il s’agit notamment des stratégies nationales à long terme et des plans de financement associés qui, comme l’indique Stéphane Hallegatte, « clarifient l’objectif à long terme et déterminent les efforts de chaque secteur, en tenant compte de leurs interactions, par exemple l’électrification des transports et la décarbonation de l’électricité ».

 

Conclusion

La réforme du système financier mondial en vue d’une transition vers le développement durable nécessite un changement d’approche. Les stratégies de long terme (LTS en anglais) que les pays ont été invités à produire dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat, complétées par des plans de financement pour la transition, combinent les trois ingrédients listés ci-dessus et sont de plus en plus utilisées pour analyser le changement climatique et guider les décisions. Généralisées pour aborder les questions interdépendantes du développement durable, elles pourraient être utilisées pour informer les décideurs nationaux et les institutions de financement du développement sur la façon de prioriser les investissements sur différents horizons temporels afin d’éviter le verrouillage dans des politiques intensives en carbone ou favorisant la maladaptation.

Au-delà de cette recommandation sur les outils, la perspective offerte par l’approche axée sur la demande peut éclairer les discussions actuelles sur la réforme, y compris sur les questions liées à la gouvernance interne des institutions de financement du développement – de plus en plus soulevées par les pays du Sud du point de vue de la justice climatique et de la transition juste –, afin de maximiser leur impact. Notamment en garantissant que les changements prévus n’amélioreront pas seulement les performances des institutions, mais qu’ils soutiendront in fine les transformations au niveau national, en s’appuyant sur les dynamiques lancées par les parties prenantes nationales et en plaçant la justice au cœur des débats et des politiques.

Contacts I4CE
Diana CÁRDENAS MONAR
Diana CÁRDENAS MONAR
Chercheuse – Outils pour le financement de la transition à l'international Email
Claire ESCHALIER
Claire ESCHALIER
Directrice de programme – Financement du développement Email
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Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
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