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Adaptation : évitons les oppositions stériles entre le local et le national

8 octobre 2020 - Billet d'analyse

#I4CE_Invite

 

En matière d’adaptation, il y a une absolue nécessité à différencier les politiques publiques en fonction des échelons territoriaux, à piloter l’action au plus près des territoires pour répondre à leurs spécificités. Dans ce billet rédigé pour I4CE, Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut-Conseil pour le Climat, nous appelle néanmoins à ne pas perdre de vue qu’il faut coordonner l’action des collectivités, garantir la solidarité entre territoires et débattre de grands choix de société que nous imposent le dérèglement climatique et qui transcendent le local. Magali Reghezza-Zitt est géographe, et spécialiste des risques naturels, des questions de vulnérabilité et de résilience urbaines. 

 

Les territoires sont en interaction et la nature se moque des limites administratives. Pour construire des corridors écologiques par exemple, afin de permettre aux espèces de migrer pour suivre leur « niche climatique » en toute sécurité, il faut être en mesure d’assurer leur continuité au travers des limites communales ou départementales. Un littoral, un bassin versant, une forêt, un massif montagneux débordent toujours les périmètres administratifs tracés par les hommes. Plutôt que de chercher, comme à chaque fois que l’on met en place une politique publique, un optimum territorial, commençons par rendre fonctionnel ce qui existe déjà, et évitons les oppositions stériles entre le local et le national.

 

 

Coordonner l’action des territoires

Les interactions entre territoires entrainent d’abord un fort besoin de coordination « horizontale ». On sait par exemple que les logiques de fonctionnement hydrologiques dépassent les mailles administratives : les actions des uns en amont vont forcément avoir des conséquences sur les autres en aval. Les territoires limitrophes doivent pouvoir échanger et s’entendre sur ces sujets, éventuellement avec la médiation des services de l’État, toujours avec les citoyens et les acteurs privés.

 

Il y a aussi un besoin de coordination « verticale », étant donné la complexité du maillage administratif français. Les compétences des communes, des départements ou encore des régions et de l’État se chevauchent parfois, souvent même. Les périmètres ne s’emboîtent pas comme des poupées russes, il y a des moments où ça coince. Il faut donc clarifier les attributions, ainsi que les responsabilités juridiques et les budgets qui vont avec. L’adaptation, comme tant d’autres enjeux, nécessite un pilotage multi-échelles pour tout mettre en musique.

 

 

Garantir la solidarité entre territoires

L’adaptation pose aussi des questions de justice entre territoires. Et l’État, et plus largement la puissance publique, a un rôle déterminant pour garantir des formes de solidarités – par exemple des péréquations – entre des territoires qui n’ont pas tous les mêmes capacités à s’adapter et ne sont pas affectés de la même manière par les changements climatiques. L’État peut d’abord veiller à réduire les inégalités entre collectivités dans leurs capacités techniques et financières. C’est une évidence bonne à rappeler : ce n’est pas la même chose d’être une commune de deux-cents habitants ou une métropole comme Paris, en termes de dimensionnements des services techniques, d’ingénierie, de formation des agents, etc. De nombreuses collectivités sont insuffisamment dotées en financements, ressources humaines, compétences techniques et juridiques, pour engager des transformations structurelles.

 

L’État doit également veiller à accompagner les territoires les plus affectés économiquement par les effets du dérèglement climatique. La question de la réforme du régime d’assurance des catastrophes naturelles Catnat qui en France est fondé sur une logique de solidarité nationale avec un État réassureur – c’est unique au monde – est posée pour veiller à la pérennité de ce système malgré l’augmentation des dommages climatiques. D’autres mécanismes comme la taxe « GEMAPI » doivent intégrer cet impératif de redistribution et de solidarité entre territoires. Chaque intercommunalité a le droit de lever cette taxe pour financer la prévention des inondations et l’entretien des digues. Comment prendre en compte que certaines communes sont plus exposées, ont des digues plus anciennes, moins d’habitants ou un revenu moyen plus faible qu’ailleurs ?

 

 

Débattre des grands choix qui transcendent le local

La France a souvent mal préparé des transitions industrielles ou démographiques qu’on savait inéluctables, avec la casse économique et sociale que l’on connaît sur certains territoires comme les anciens bassins houillers. On sait que le climat change et continuera à changer, il est encore temps d’anticiper, se préparer et décider ce que l’on va faire au lieu de se condamner à subir. Comment imagine-t-on l’avenir des façades littorales françaises, avec les ports français, les stations touristiques ? Et celui des grandes régions agricoles ou viticoles, de la forêt ? Souhaite-t-on conserver « à tout prix » certaines activités menacées à cause du manque d’eau, d’enneigement ou de la hausse du niveau de la mer ou accompagner des changements d’orientation ? S’adapter, ce n’est pas qu’un problème de béton durable et de joint thermique, c’est se confronter aux grandes questions de la répartition des activités et des hommes, de l’organisation de l’espace national.

 

Pour ces grandes questions d’aménagement, une vision nationale est incontournable. Le rôle de l’État, et espérons-le du nouveau Haut Commissariat au Plan, est d’organiser le débat sur les grands enjeux de l’adaptation qui transcendent le local et de garantir l’intérêt général de long terme, qui n’est jamais égal à la somme des intérêts locaux immédiats. Pour cela, l’État doit notamment expliciter les options quand des contradictions se présentent et qu’il y a besoin d’arbitrages, par exemple entre densification des villes, besoins de logement, envie de nature, maîtrise de l’étalement urbain, réduction des îlots de chaleur et du ruissellement. Ces arbitrages sont loin d’être donnés : ce n’est pas parce qu’il s’agit de climat qu’ils s’imposent sur la base d’évidences naturelles. Il faut organiser le débat démocratique autour de ces questions. Et faire vivre ce débat : ces sujets mériteraient d’être à l’agenda politique de la même manière que l’est la réforme des retraites ou le nombre de fonctionnaires. Ils engagent plusieurs générations et concernent les conditions d’habitabilité et d’activité de demain.

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