Les prochains défis de la Commission européenne pour une finance durable
Le 8 mars 2018, la Commission européenne révélait son Plan d’action pour la finance durable, structuré selon 3 objectifs majeurs : réorienter les flux financiers vers les activités durables, intégrer la durabilité et les risques climatiques dans le pilotage des risques, et favoriser la transparence sur ces sujets. Pour accélérer et approfondir ces travaux, la nouvelle Commission européenne va se doter d’une Stratégie renouvelée sur la finance durable. Alors que s’achève la consultation publique pour en définir les orientations à venir, Julie Evain d’I4CE pointe 3 défis à relever pour intégrer les enjeux climatiques dans le secteur financier.
Le premier Plan d’action de 2018 a acté le fait que les sujets climatiques et environnementaux ne sont plus la seule préoccupation d’un marché de niche mais bien un enjeu pour l’ensemble des acteurs financiers, des décideurs politiques et des régulateurs. Il faut se réjouir de cette prise de conscience rapide. Néanmoins, à mesure que le sujet du climat progresse chez ces acteurs, l’immensité des chantiers à mener se dévoile peu à peu.
Les acteurs financiers ne comprennent pas concrètement la nature et l’ampleur du changement climatique et de la transition bas-carbone
Le premier chantier à mener est d’abord celui de la compréhension des enjeux climatiques par les acteurs financiers. Ce chantier est sans doute le plus important : il sera difficile d’espérer une réelle évolution tant que ces acteurs ne comprennent pas concrètement la nature et l’ampleur du changement climatique, de la transition à conduire et des risques financiers inhérents à ce processus de transformation.
Le climat ne doit plus être uniquement dévolu aux équipes « développement durable », il doit être intégré à tous les niveaux du secteur financier : de la direction, au département des risques, en passant par les conseillers clientèle des particuliers et des entreprises.
De cette faible compréhension découle un manque de compétences dans le secteur financier. Tant que les sujets climatiques ne sont pas un élément fondamental des formations en finance, à l’université et dans les formations continues, il est peu probable que les gens se sentent d’une part responsables et d’autre part bien équipés pour s’attaquer au problème.
Le second chantier est celui des données, des scénarios, des méthodologies d’évaluation
Le second chantier est celui des données, des scénarios et des méthodologies d’évaluation. Un chantier technique certes, mais néanmoins indispensable pour intégrer le climat dans l’analyse et la gestion des risques financiers. Les acteurs financiers ont ainsi besoin de données plus précises sur les impacts physiques, économiques et financiers du changement climatique. Mais pour que l’intégration de ces données dans leur processus aient un véritable impact, ils ont surtout besoin de savoir quelles sont les données pertinentes. Comment évaluer par exemple la durabilité d’un projet de construction immobilière en Floride ? Faut-il des données sur les matériaux de construction, l’élévation du bâtiment, les projections de montée des eaux, les engagements des promoteurs, la stratégie d’adaptation de la ville, la durabilité des professions des acheteurs ?
Relever le défi des données est ardu : les données futures ne sont pas disponibles, ou ne le sont que sous formes d’hypothèses, tandis que les données historiques sont de moins en moins pertinentes pour comprendre l’évolution du système climatique. Les acteurs financiers ont aussi besoin de scénarios, climatiques mais aussi socio-économiques, de l’échelle mondiale à l’échelle plus locale, pour s’en servir comme base pour élaborer des stratégies et évaluer les projets et entreprises.
Enfin, les acteurs financiers ont besoin de méthodologies d’évaluation, pour comprendre les liens entre leurs portefeuilles de prêts ou d’actions et le changement climatique. Ces outils sont censés évaluer l’exposition aux risques de transition et aux risques physiques. Ils devraient également permettre d’évaluer la compatibilité entre les portefeuilles et une trajectoire de développement nous maintenant sous la barre des deux degrés.
Or il y a un manque d’outils pertinents et utiles pour aider à la prise de décision financière et gérer les incertitudes profondes. Les outils dont nous disposons n’en sont qu’à leurs balbutiements et ils n’évaluent souvent pas bien l’impact réel de la prise de décision financière sur les comportements dans l’économie réelle.
Reconnecter la finance aux citoyens par l’épargne durable
Le troisième chantier serait d’intégrer les citoyens à cette évolution de la finance par l’épargne durable. Si la finance s’est peu à peu éloignée de l’économie réelle, elle s’est aussi éloignée des citoyens, à qui elle peut sembler déconnectée et hors sol. La plupart des citoyens se sentent très à distance des sphères financières et ne comprennent pas ce qui est fait de leur épargne, ni quel rôle ils peuvent jouer en tant qu’épargnant.
Selon une logique similaire, de nombreux citoyens, quoique volontaires au changement dans leurs actions quotidiennes, peuvent se sentir déconnectés de la lutte contre le changement climatique et de la réalisation des objectifs de développement durable. L’UE a la possibilité de renouer le dialogue avec les citoyens sur ces deux sujets grâce à des programmes d’épargne durable, comme cela se fait aux Pays Bas depuis 25 ans par exemple. Les citoyens néerlandais peuvent ainsi choisir de placer leur épargne dans des fonds verts labellisés, avec une transparence sur ce qui est financé, et ils bénéficient d’un avantage fiscal les incitant à s’intéresser à ce type de placements.
L’épargne durable pourrait permettre de favoriser à la fois l’implication des citoyens et leur formation sur les questions de financement durable et de financement du changement climatique. Plus généralement, ce serait l’occasion de faire vivre au grand public un débat plus technique sur ce qu’implique le financement de la transition : quels peuvent être les activités financées, quel mécanisme de suivi des projets peut être mis en place, quel impact et quelle part de risque peuvent être attendus de la part des citoyens ?
Conclusion / Elargissement
Les chantiers à mener sont de taille. La finance durable fut l’un des marqueurs forts de la précédente Commission européenne, qui grâce à son Plan d’action a impulsé une première dynamique. Néanmoins beaucoup reste à faire pour que ces évolutions dépassent les frontières de la sphère financière et parviennent à avoir un impact sur l’économie réelle, les entreprises et les citoyens. La transition bas carbone et les enjeux de durabilité sont une opportunité pour le secteur financier de se recentrer sur son utilité première : le financement de l’économie réelle et l’accompagnement de ses grandes mutations.
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