Forêt et climat : à la recherche de l’action locale et sans regrets

26 mars 2020 - Billet d'analyse

La France s’est fixée comme objectif de devenir neutre en carbone d’ici 2050 : ses émissions résiduelles devront être contrebalancées par des absorptions équivalentes par les puits de carbone sur son territoire. Si la forêt aura évidemment un rôle à jouer, la définition de ce rôle fait l’objet d’intenses débats. À l’occasion de la journée mondiale des forêts, Julia Grimault revient sur les incertitudes qui entourent le puits forestier et appelle à des actions localisées et sans regrets pour agir contre le changement climatique. 

 

La forêt, atout multitâche de la neutralité carbone

La forêt, et plus précisément la filière forêt-bois, a cette capacité quasi-unique de jouer sur les deux volets de la neutralité carbone : elle permet de sortir du CO2 de l’atmosphère d’une part et aide à la décarbonation des autres secteurs d’autre part.

 

Via le processus de photosynthèse, les forêts sont en capacité d’absorber du CO2 de l’atmosphère, et de le stocker dans la biomasse et dans les sols. Tous les ans, les forêts françaises absorbent près de 55MtCO2 (CITEPA, 2018) de plus qu’elles n’en émettent : c’est ce qu’on appelle le puits de carbone forestier, qui en France représente près de 12% des émissions nationales. Les produits bois, et notamment ceux à longue durée de vie (poutres, charpentes…), permettent aussi de stocker du carbone pendant plusieurs années ou dizaines d’années. Ils prolongent la durée de stockage d’une partie du carbone forestier. Par ailleurs, l’utilisation du bois à la place de matériaux plus énergivores comme le béton ou l’acier permet d’éviter des émissions de CO2, dans les secteurs de l’industrie ou du bâtiment. On parle de substitution-matériau. Et on parle de substitution-énergie quand le bois est utilisé en lieu et place d’énergies fossiles comme le charbon ou le fuel, et permet d’aider à la décarbonation du secteur énergétique.

 

Ces différents leviers sont clés mais on ne peut malheureusement pas tous les maximiser en même temps… et dans le même horizon de temps. Une augmentation de l’usage du bois dans la construction par exemple s’appuie en général sur une augmentation des prélèvements en forêt. A court terme, les émissions liées aux coupes excèdent les émissions évitées par substitution. A long terme, cette dette carbone initiale est remboursée grâce aux effets de substitution cumulés aux efforts de reboisement. En fonction du type de peuplements, des conditions pédoclimatiques, du type de récolte, de l’usage des produits, le temps de retour pour le climat peut aller de quelques dizaines d’années… à plus d’un siècle ! (Agostini et al., 2013; Roux et al., 2017; Valade et al., 2018).

 

Le débat qui agite la société : où mettre le curseur entre prélever plus et ne rien faire ?

Que faire alors dans la filière pour contribuer à l’atténuation du changement climatique ? Faut-il ne rien faire et conserver les stocks en place ? Faut-il couper plus de bois pour décarboner notre économie ? Ce débat cristallise les oppositions.

 

Le choix entre ces deux stratégies, celle de la conservation et celle du prélèvement, dépend d’abord comme nous l’avons vu de l’horizon de temps auquel nous voulons agir. Dans le cadre des politiques climatiques, on est forcé de raisonner à un horizon de temps plus court que celui de la forêt : si certains peuplements peuvent avoir des durées de révolution de plus de cent ans, l’horizon de temps auquel nous devons atteindre la neutralité est une trentaine d’année. Il est ainsi important de ne pas perdre de vue les impacts à court-moyen terme, dans un secteur où l’on a l’habitude de raisonner à très long terme.

 

L’arbitrage entre conservation et augmentation des prélèvements dépend par ailleurs de l’impact anticipé du changement climatique sur les forêts (Valade et al., 2017). Si on anticipe un impact important sur les peuplements forestiers (incendies, dépérissements…), il y a un fort risque que le carbone séquestré soit relargué vers l’atmosphère. Dans ce cas, une augmentation des prélèvements peut être vue comme une manière d’accélérer l’adaptation des peuplements tout en améliorant les effets de stockage et substitution par les produits. A l’inverse, si on anticipe un moindre impact du changement climatique, la conservation des puits en place, la stratégie ‘ne rien faire’, peut être la meilleure option à moyen terme.

 

Le problème, une fois encore, est que les incertitudes sur l’évolution du puits forestier sont nombreuses. Depuis 70 ans, le changement climatique a contribué à booster la croissance des forêts et donc le puits de carbone (Bellassen, Luyssaert, 2012). Il n’est cependant pas certain que cela dure : à l’horizon 2100, les pronostics des modèles divergent. Certains modèles prévoient que ce déséquilibre favorable s’accentuera, quand d’autres anticipent un renversement de tendance et voient des forêts devenir nette émettrices de CO2. Par ailleurs, nous avons tous été témoins des incendies massifs au Brésil, en Australie et en Amérique du Nord, durant lesquels plusieurs millions d’hectares de forêts ont disparu. Et en France, on constate depuis plusieurs étés des dépérissements importants liés à une combinaison de sécheresses et d’attaques sanitaires (scolytes, chalarose…). Cependant, l’arbre pourrait cacher la forêt : les catastrophes sont en effet beaucoup plus visibles et médiatisées que l’effet de « dopage » diffus des changements environnementaux.

 

À l’horizon 2050, c’est localement qu’il faut chercher les solutions

En résumé, de nombreuses incertitudes demeurent sur la stratégie forestière à adopter pour maximiser la contribution de la forêt à l’atténuation du changement climatique. Est-ce grave ? Peut-être pas tant que ça. Il faut en effet relativiser l’importance d’un changement de gestion forestière à large échelle comme levier massif d’atténuation du changement climatique. Si les études françaises récentes (Roux et al., 2017; Valade et al., 2017 ; Valade & Bellassen, 2020) concordent à trouver un impact négatif d’un accroissement des prélèvements d’ici trente ans dans la plupart des scénarios étudiés, cet effet reste modeste : entre 0% et 4% des émissions nationales actuelles. Dans tous les cas, il ne faut pas compter sur une forte croissance du puits forestier pour contrebalancer massivement nos émissions. Il faudra réduire drastiquement les émissions dans tous les secteurs de l’économie, en n’oubliant pas que le bois aura un rôle à jouer.

 

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire en forêt ? Non, car si à l’échelle macro les marges de manœuvre semblent faibles et les tendances incertaines, localement toutefois, des changements de gestion forestière peuvent avoir un impact très positif sur le climat. Remettre d’aplomb des peuplements là où ils dépérissent par exemple permet de sortir d’une impasse forestière et de relancer simultanément séquestration en forêt et substitution des énergies fossiles. Les actions de ce type, où le changement de gestion confère un bénéfice climatique avant 2050, pourraient concerner plusieurs millions d’hectares. Mais comment les identifier et les financer ?

 

C’est précisément ce que permettent les instruments économiques « à tête chercheuse », comme le Label Bas Carbone. Ouvert à toutes les solutions innovantes, le Label permet de s’assurer qu’elles ont bien un retour climatique positif à l’horizon 2050 là où elles sont mises en œuvre. La reconstitution de peuplements dégradés (suite aux tempêtes, incendies, ou dépérissements intenses) bénéficie déjà de cet instrument là où elle est utile. D’autres pistes prometteuses comme les itinéraires privilégiant l’orientation vers des produits bois à plus longue durée de vie, la conversion de taillis en futaie ou les pratiques sylvicoles qui préservent le carbone des sols pourraient suivre…

 

L’identification de ces actions va bien sûr bien au-delà du label bas carbone. Au contraire du secteur énergétique où le renouvelable apporte des bénéfices climatiques en toutes les circonstances, il n’y a pas d’éoliennes forestières. Pour la filière forêt-bois, il faut donc concevoir des instruments « bottom-up » qui permettent de financer les changements de gestion là où ils sont efficaces et adaptés aux conditions locales. Cette inscription de la stratégie climatique dans un contexte local est d’autant plus important que la forêt a également la capacité d’influer sur le climat via les effets biophysiques (albédo, évapotranspiration…), et qu’elle nous rend par ailleurs de multiples services, bien au-delà de la seule séquestration du carbone.

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