6 idées reçues sur l’adaptation au changement climatique
I4CE et Terra Nova viennent de publier 8 propositions d’actions politiques pour donner une impulsion à l’adaptation au changement climatique. Il est important d’agir dès maintenant car il serait une erreur de croire que nous pourrons agir au fil de l’eau. Vivian Dépoues d’I4CE et Antoine Guillou de Terra Nova nous présentent les 6 idées reçues les plus communément entendues.
Nous n’avons aucun retour d’expérience permettant d’affirmer avec certitude que nous saurons nous y adapter au fil de l’eau. Par sa rapidité, ce changement est inédit dans l’histoire de l’humanité. Le changement de cette ampleur le plus rapide – jusqu’à aujourd’hui – dans l’Histoire de la Terre a eu lieu, selon les scientifiques, il y a 56 millions d’années : la température a alors augmenté de 6°C, mais cela a pris entre 10 et 20 000 ans. « Ce pic du «Paléocène-Eocène Thermal Maximum» (PETM), a chamboulé la faune, la flore et le paysage. Il a été la plus rapide et la plus importante perturbation climatique de notre ère, jusqu’à aujourd’hui. Car la Terre vit désormais une situation inédite».
Parce que l’on ne verra pas tout venir. Si certains impacts du changement climatique sont très visibles d’autres sont difficilement perceptibles. Il est par exemple difficile de se rendre compte au quotidien du déclin de la biodiversité alors que ses conséquences pourraient être dramatiques (WWF 2018). Ces « transformations silencieuses » sont d’autant plus dangereuses qu’elles peuvent être irréversibles et donc définitives. Si l’on anticipe pas, il sera trop tard quand on s’en rendra compte.
Même en gardant confiance dans la capacité globale de nos systèmes économiques et sociaux à faire face à des changements de l’ordre de +2°C nous ne pouvons ignorer qu’une adaptation subie le serait au détriment de certains acteurs : certains territoires et certaines filières pourraient être de grands perdants s’ils ne préparaient pas leur transformation. Continuer d’investir aujourd’hui dans des activités que le changement climatique rendrait non viables, c’est s’exposer à devoir gérer demain des crises sociales et éventuellement sanitaires majeures. Symétriquement, ne pas anticiper, c’est potentiellement se priver d’opportunités intéressantes que l’on ne se donnera pas les moyens de saisir à temps.
Se contenter de réagir face à des changements déjà advenus peut par ailleurs conduire à prendre de mauvaises décisions. Dans l’urgence, ou mis devant le fait accompli, on peut ainsi mettre en oeuvre des actions que l’on qualifie de « maladaptation » parce qu’elles contribuent à aggraver le phénomène (par exemple, faire face à des épisodes de canicules en installant des climatiseurs qui rejettent de l’air chaud dans les rues et aggravent l’effet d’îlot de chaleur urbain), à reporter ses conséquences sur d’autres (par exemple en construisant des digues qui aggravent l’érosion dans la commune voisine) ou à augmenter la vulnérabilité à de nouveaux risques (par exemple en misant sur l’irrigation quand certaines ressources en eau pourraient s’épuiser).
Tous les secteurs ne raisonnent pas sur les mêmes échelles de temps. Quand certaines activités économiques peuvent se permettre d’adapter leurs décisions de façon relativement agile (en changeant par exemple d’une année sur l’autre de fournisseur, en supposant qu’ils ne soient pas tous confrontés au même problème), d’autres ne peuvent se transformer que sur des temps beaucoup plus longs. Certaines évolutions ou reconversions nécessitent des investissements de long terme (par exemple dans de nouvelles infrastructures ou équipements, mais aussi dans la formation et l’acquisition de connaissances), de la R&D, de nouvelles compétences et des temps d’apprentissage incompressibles. Ne pas suffisamment anticiper, c’est alors s’enfermer dans des trajectoires perdantes.
Ces changements et leurs impacts sont d’ores et déjà très bien documentés par des années de recherche scientifique à l’échelle mondiale (GIEC 2014) mais aussi européenne et nationale, voire infranationale. En France, une mission scientifique confiée à Jean Jouzel et réunissant différentes équipes de recherche a publié cinq rapports sur Le climat de la France au 21ème siècle mettant notamment à disposition des scénarios de changement climatique régionalisés à moyen (2021-2050) et à long terme (2071-2100)10. Ces scénarios sont accessibles via les outils en ligne Climat-HD (grand public) et Drias. Ils permettent à différents acteurs dans différents secteurs (gestion des eaux, assurance, agriculture…) de réaliser leurs propres études de vulnérabilité et d’explorer différentes options d’adaptation. L’Observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC) tient à jour une base de données d’indicateurs des changements en cours, des études réalisées et assure une veille scientifique du sujet accessible à tous. La publication d’un rapport thématique annuel au Gouvernement et au Parlement a également permis de traiter de sujets capitaux dans ce contexte de changement climatique tels que les événements météorologiques extrêmes (2018), le littoral (2015), l’arbre et la forêt (2014), les outre-mer (2012), la ville (2010), les coûts à attendre (2009) ou encore les risques sanitaires (2007). D’autres travaux thématiques et sectoriels, à l’image de l’étude Explore 2070 sur la ressource en eau ou le programme ACCAF sur l’agriculture, éclairent certaines des conséquences du changement climatique.