2023, l’année de la réforme du financement du développement

19 janvier 2023 - Billet d'analyse - Par : Alice PAUTHIER

L’année 2022 a abouti à un consensus international : l’architecture financière mondiale n’est plus adaptée aux enjeux actuels. 2023 sera une année de réforme pour le financement du développement, avec de nombreux événements organisés, dont un sommet à Paris, au mois de juin. Alors que les discussions se sont cristallisées autour de la nécessité d’augmenter les volumes de financement pour le développement, Alice Pauthier revient sur l’importance de mettre l’impact au cœur d’une réforme qui devra être guidée au niveau local, par l’identification des besoins de financements pour la transition. Cette réforme est une opportunité à ne pas manquer et les Institutions Financières Publiques ont un rôle clé à jouer dans la future architecture internationale.

 

En à peine un an, un consensus s’est créé autour la nécessité de réformer l’architecture financière mondiale. Les institutions créées après-guerre pour soutenir le développement international, telles que le FMI, la Banque mondiale et, plus largement, les institutions financières publiques multilatérales et bilatérales, ne sont en effet plus adaptées aux enjeux actuels. Suite au discours de Mia Mottley à la COP26 soulignant que « l’incapacité à fournir des financements pour le climat se mesure en vies et en pertes de moyens de subsistance », le gouvernement de la Barbade a élaboré le programme de Bridgetown pour la réforme de l’architecture financière mondiale. L’objectif est d’orienter les ressources financières vers un développement bas carbone et résilient au changement climatique, tout en contribuant à résoudre la crise du coût de la vie et la crise de la dette des pays en développement. Lors de la COP27, la Barbade a reçu le soutien de la France, le président Macron ayant en effet annoncé l’organisation d’un sommet qui se tiendrait à Paris en juin 2023. Elle a plus largement reçu le soutien de la communauté internationale, comme le souligne le plan de mise en œuvre de Sharm El-Sheikh qui mentionne explicitement la nécessité d’une « transformation du système financier ».  

 

Depuis l’année dernière, des propositions concrètes sont discutées pour réformer la Banque mondiale et les autres banques multilatérales de développement (BMD). Avec un mandat très spécifique, les BMD jouent un rôle important dans l’architecture financière internationale. Elles aident les pays à faire face aux crises tout en contribuant à leur développement durable sur le long terme. Cependant, leurs ressources sont limitées, contraignant ainsi leur champ d’intervention. Face à ce constat, plusieurs organisations ont élaboré des propositions pour une réforme en profondeur des BMD. Un groupe d’experts indépendants de haut niveau sur le financement climatique a notamment présenté des propositions pour une réforme des BMD appelant « à la fois à un élargissement significatif de la portée de leurs interventions et une augmentation majeure du volume de leur financement ». Le G20 a créé un panel indépendant pour aider les gouvernements actionnaires des BMD à identifier des solutions pour leur permettre de prêter davantage sans menacer leur intégrité financière à long terme. S’appuyant sur ces recommandations, l’Allemagne et les États-Unis, soutenus par 10 pays, dont l’ensemble du G7, ont remis une proposition conjointe pour « une réforme fondamentale de la Banque mondiale ». La Banque mondiale a répondu par la publication d’une « feuille de route d’évolution » qui oriente les discussions du Conseil d’administration au printemps prochain. Ces discussions autour de la réforme de la Banque Mondiale, devraient alimenter une réflexion plus large autour de la réforme de l’architecture financière internationale, comprenant notamment des changements autour du rôle des institutions financières publiques. 

 

Au-delà du Sommet de Paris, 2023 sera marqué par de nombreux événements abordant différents volets de l’agenda de la réforme de l’architecture financière : les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale ainsi que le G20, le G7, le sommet Finance en Commun et la COP28. Ces événements sont autant d’opportunités à saisir pour changer en profondeur le financement du développement et l’adapter aux défis actuels et futurs. Capitalisant sur plus d’une décennie de travail sur le financement de la transition en France, en Europe et dans les pays en développement, I4CE a identifié deux conditions minimales pour un processus de réforme réussi : il devra être guidé par les besoins de financement des pays pour un développement durable et être guidé par l’objectif de maximiser l’impact du financement public sur la transition des économies. 

 

Pour réussir, la réforme de l’architecture financière mondiale doit donner la priorité à la définition des besoins de financement des pays.

La dernière fois que le financement du développement a reçu autant d’attention, c’était en 2015, lorsque les agendas du climat et du développement ont convergé autour du besoin d’adopter des trajectoires nationales pour un développement durable. Le programme d’action d’Addis-Abeba a ensuite reconnu l’importance de prendre en compte les trois dimensions du développement durable ensemble : économique, sociale et environnementale. Dans cette perspective, la même année, le Programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris ont promu une approche ascendante et centrée sur les pays, encourageant chaque gouvernement à « fixer ses propres objectifs nationaux guidés par le niveau d’ambition mondial mais en tenant compte des circonstances nationales ». 

 

En 2023, cette approche ascendante reste la condition essentielle pour une réforme réussie de l’architecture financière internationale. Le FMI rappelle que « le rôle souhaitable des secteurs public et privé dans le financement de l‘atténuation et de l‘adaptation est spécifique au contexte. Le rôle du financement des secteurs public et privé varie d’un pays à l’autre en fonction des caractéristiques propres à chaque pays et du contexte économique et institutionnel local ». Et, selon le Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment and Brookings Institution : « le point de départ d’une augmentation importante des investissements doit être un leadership et des actions nationales solides. Tous les pays doivent établir des programmes d’investissement bien articulés pour stimuler la reprise et la transformation. Ces programmes d’investissement doivent être ancrés dans des stratégies à long terme d’atteinte des objectifs de développement et climat solides, traduits en pipelines concrets de projets et soutenus par un climat d’investissement favorable. » 

 

L’analyse granulaire des besoins d’investissement des pays pour un développement durable est cependant toujours insuffisante. Les mesures suivantes peuvent permettre à chaque pays d’y parvenir, si nécessaire avec l’appui d’acteurs internationaux : 

 

  • élaborer des stratégies à long terme et des plans stratégies sectorielles pour atteindre des objectifs climatiques et, plus largement, de développement durable et identifier les transitions socio-économiques spécifiques à chaque pays qui se produiront sur le long terme ; 
  • traduire ces stratégies en besoins d’investissement et de financement sur différents horizons temporels (composante macro-économique)
  • dresser un état des lieux des financements actuels et des besoins de financements complémentaires : 
    • identifier le rôle des acteurs des secteurs public et privé ainsi que des acteurs nationaux et internationaux ;
    • identifier les sources (budget national, revenus carbone, obligations vertes, marchés de capitaux nationaux, finance climat internationale, etc.) et les mécanismes de financement existants qui pourraient être utilisés ;
    • identifier des mécanismes de financement innovants et une collaboration public-privé pour combler les besoins en financement restants.
    •  

Les panoramas des financements climat et les outils de budgétisation verte sont autant d’outils qui peuvent servir à ces analyses. Leur diffusion est essentielle pour informer et aider les institutions financières publiques à identifier là où leur intervention peut être la plus utile.  

 

Les ressources financières publiques sont précieuses, particulièrement en temps de crise. La réforme de l’architecture financière mondiale devra donc veiller à ce que ces financements publics soient acheminés là où ils sont le plus nécessaires. 

Bien que l’analyse granulaire des besoins de financement de la transition soit encore insuffisante, un constat est néanmoins évident : les ressources financières publiques sont insuffisantes pour couvrir à elles seules les besoins de financement . Alors qu’une partie du programme de réforme se concentrera sur les différentes manières d’augmenter les volumes de financement public, il sera également nécessaire de se concentrer sur la manière d’utiliser au mieux ces ressources. En d’autres termes, il s’agira de mesurer l’impact sur la transition, et non seulement les volumes de financement en faveur de la transition. Cet impact doit plus spécifiquement être mesuré en tenant compte des besoins des pays en matière de financements publics. 

 

Les institutions financières publiques (IFP), qu’elles soient internationales, régionales ou nationales, jouent un rôle clé dans l’orientation des flux de financiers publics. Qu’implique donc cette réforme pour eux ? 

 

Aujourd’hui, un changement de paradigme clair est nécessaire pour optimiser le rôle des IFP dans le financement de la transition :  

Individuellement, les IFP doivent détourner leur attention de la simple comptabilisation des volumes de finance climat et accorder une importance plus grande à l’impact réel de leurs actions sur la transformation des économies nationales. Les ressources des IFP étant limitées, se limiter à financer des « projets verts » comme une éolienne supplémentaire ne suffit pas. Elles doivent concentrer leurs efforts sur les activités qui auront le plus d’impact sur la transition des économies, comme le renforcement de capacités des gouvernements nationaux pour l’élaboration et la mise en œuvre de trajectoires de développement durable. Pour maximiser leur impact, les IFP doivent s’assurer que toutes leurs activités sont compatibles avec les objectifs de développement durable,  évaluer l’impact de leurs activités sur la transformation des systèmes aux niveaux national et mondial et prioriser les activités en fonction de leur impact. 

 

 

Collectivement, analyse et coordination sont nécessaires pour identifier quelle IFP est la mieux placée et équipée outillée pour répondre aux besoins de financement spécifiques de chaque pays. Pour réussir, cette réforme doit être globale. Elle ne doit pas se concentrer uniquement sur le financement du développement d’origine internationale, qui représente moins de 10 % du total des opérations de finances publiques. Le rôle des institutions financières nationales et des institutions financières infranationales qui représentent respectivement 70 % et 21 % des opérations selon les dernières recherches de l’INSE et de l’AFD devra également être un élément clé de la discussion. Le système actuel, de plus en plus encombré et fragmenté doit être réformé pour plus de pragmatisme et d’efficacité. Les ressources les plus concessionnelles, et donc les plus précieuses, doivent être allouées là où les besoins sont les plus importants, comme pour l’adaptation des pays les moins avancés. L’analyse des besoins de financement des pays pourrait être à la base d’une discussion sur le rôle des institutions financières publiques et privées ainsi que sur celui des institutions financières nationales et internationales et sur les différents instruments financiers et non financiers qu’elles peuvent utiliser pour répondre à ces besoins. Dans certaines régions, les banques publiques nationales auront un rôle décisif à jouer, tandis que dans d’autres, la finance internationale sera absolument nécessaire.  

 

La réforme de l’architecture financière internationale est ambitieuse. Elle constitue l’un des points les plus larges et complexes à l’ordre du jour des discussions internationales cette année. Mais elle représente aussi une opportunité à ne pas manquer si nous voulons rester sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs en matière de climat et de durabilité. 

 

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